Inauguration de l’exposition « Cinquantenaire de l’examen de la loi Veil relative à l’interruption volontaire de grossesse »

Galerie des Fêtes
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le garde des Sceaux, 

Madame la secrétaire d'État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes,

Madame la Vice-présidente du Sénat,

Madame la Présidente de la Délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et du Sénat,

Mesdames et messieurs les membres du Bureau,

Mesdames et messieurs les députés,

Cher Pierre-François Veil et Cher Jean Veil,

Chère Claudine Monteil,

Mesdames et messieurs,

Nous sommes le dimanche 23 novembre 1974.

Il est tard dans la nuit.

Laissez-moi vous emmener non loin du Palais-Bourbon, place Vauban, dans l’appartement d’Antoine et Simone Veil.

Elle ne le sait peut-être pas encore, mais Simone tient dans ses mains le manuscrit d’un discours qui, dans trois jours seulement, deviendra historique.

Un discours qui fut prononcé il y a 50 ans jour pour jour, à quelques pas de nous.

Ce qui obsède Simone Veil ce soir, c’est l’exorde de son discours. La première phrase. Celle qui doit capter, convaincre, marquer. 

Elle relit sa première phrase : « Croyez bien que c'est avec un profond sentiment de modestie… »

Elle s’arrête. Non, ça ne va pas. Elle raye « modestie ». Et soudain, Eurêka : elle écrit « humilité ».

Voilà tout Simone Veil : la force dans la simplicité.

Cette nuit-là, elle pense aux femmes. À leur souffrance. À leur silence.

Alors elle continue. Elle scande les phrases, marque les pauses d’un trait net, souligne les accentuations. Chaque mot est pesé, chaque phrase, affinée. Elle écrit même « grand verre d’eau » pour se rappeler de boire.

Ce manuscrit, ces annotations, ces ratures, vous pourrez en découvrir les coulisses dans l’exposition que nous inaugurons aujourd'hui. 

Saviez-vous par exemple que la plus célèbre phrase peut-être du discours (« Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme ») a failli ne jamais exister telle quelle ? …Dans les autres versions en effet, Simone Veil, à la place de « conviction », avait pensé à « observation » puis « réflexion ».

**

Mais continuons notre cheminement.

Nous sommes le 26 novembre 1974.

C'est le grand jour.  Mais la première pensée de Simone est sûrement pour vous, cher Jean Veil, car ce 26 novembre est aussi votre anniversaire – et nous vous souhaitons donc un bel anniversaire.

Jean-Paul Davin, le collaborateur parlementaire, ne tient pas en place. Il recompte les voix. « Jean-Paul, remettez-vous », lui lance alors Simone Veil. « Votre vie ne dépend tout de même pas de cette loi ! ».

C’est l’heure de vérité. Le président Edgar Faure ouvre les débats: « L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l’interruption volontaire de la grossesse ».

Quelques frissons parcourent Simone.

Elle monte à la tribune.

La suite ?

Elle appartient à l’histoire de l’éloquence parlementaire. À l’histoire des femmes. À notre histoire.

**

Ce jour-là, Simone Veil a écrit l’histoire.

Mais ce que nous rappelle cette exposition, c'est qu'elle ne l’a pas écrite seule.

Chère Claudine Monteil, vous étiez, en 1971, la plus jeune signataire du « manifeste des 343 », pour affirmer haut et fort : « Oui, j’ai avorté ». Chère Nicole Muchnik, vous avez été à l’origine de cette idée.

Et comment ne pas mentionner deux autres signataires : Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi.

L’avocate du procès de Bobigny avait noué une relation affective avec Simone Veil, avec qui elle partageait ses « virées incognito ». Simone en profitait, raconte Gisèle Halimi, « pour fumer en cachette parce que qu'elle était tout de même ministre de la Santé ! ». Cette exposition montrera d’ailleurs une photo émouvante : Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, côte à côte, en tribunes, écoutant Simone Veil.

Deux femmes de gauche soutenant une femme de centre-droit. Oui, pour les droits des femmes, nous devons oser dépasser les clivages.

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Après ce discours, vint le temps des débats parlementaires, que Simone Veil qualifia de « séances épuisantes ».

« Je n’imaginais pas la haine que j’allais susciter » confie-t-elle dans le livre « Les hommes aussi s’en souviennent », que nous exposons également.

Durant des mois, son cabinet reçut des lettres par centaines, et lorsque ses assistantes osaient les ouvrir, elles lisaient des horreurs comme « Méthodes nazies importées des camps ».

L’antisémitisme épistolaire est malheureusement une tradition toujours vivace en France.

À l'Assemblée aussi, le débat vira au pugilat. Hector Rolland reprocha « le choix d’un génocide ». Le pire? Ce fut Jean-Marie Daillet : il osa parler « d’embryons jetés au four crématoire » devant la déportée numéro 78 651.

Face aux attaques, Simone ne céda rien. Pourquoi ? Parce qu’elle savait que derrière ces vociférations, il y avait des silences plus puissants : ceux des femmes écrasées par l’interdit.

 « Je n’avais pas d’états d’âme », confie-t-elle. « Je savais où j’allais. Il fallait que la loi passe. »

Et pour qu'elle passe, Simone élabora un compromis audacieux : une loi légalisant l’avortement, mais pour cinq ans, sans remboursement et avec une clause de conscience pour les médecins.

C'est cette habileté politique qui lui permit d’obtenir un vote favorable, avec 47 voix de majorité – plus que prévu.

Il était 3h30 du matin, ce 29 novembre 1974.

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Mais ce n'est pas le début de la fin - seulement la fin du commencement.

Pérennisé en 1979, l’avortement est remboursé avec la loi Roudy de 1982. D’autres victoires – d'autres « progrès » dirait Simone – suivront. Notre exposition les évoque en détail.

En 1993, est créé le délit l’entrave à l’IVG, renforcé en 2004 et 2017.

En 2014, - il y a dix ans seulement ! - la condition de situation de détresse est enfin supprimée. Puis, en 2022, grâce à la loi qu’a portée Albane Gaillot et que je salue, le délai de recours est étendu jusqu'à la 14e semaine et les compétences des sages-femmes sont élargies pour améliorer l’offre de soins.

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Nous sommes donc en 2022.

Voici l’IVG inscrite dans notre loi. Mais pas encore dans notre loi suprême.

Après tout, la loi Veil, jadis loi de dissensus, n’était-elle pas devenue loi de consensus ?

Et pourtant.

Je me souviens toujours de ce que me dit Nancy Pelosi : on pensait que tout retour en arrière serait impossible. Et puis, il y eut le renversement de Roe versus Wade.

Alors il ne faut pas transiger. Ce progrès, il faut le mettre à l’abri des aléas politiques.

Cela signifie : le constitutionnaliser.

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Nous sommes donc le 4 mars 2024.

Alors que je deviens la première femme à présider un Congrès, je remonte l’allée des bustes de Versailles. Des bustes tous masculins.

Et je repense à la phrase de Simone Veil sur « l’assemblée presque exclusivement composée d’hommes ».

Ce 4 mars, la « liberté garantie » à l’avortement est constitutionnalisée par 780 voix pour, 72 contre. Cette fois, les Jean-Paul Davin du XXIe siècle n’ont pas tremblé.

Aujourd'hui, cette loi constitutionnelle est pour la première fois exposée au public. Pour ce prêt exceptionnel, je remercie le garde des Sceaux, et je salue également Noëlle Lenoir, première femme à avoir siégé au Conseil constitutionnel.

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« Il suffit d’écouter les femmes », disait Simone.

Aujourd'hui, « il suffit de regarder le monde » pour mesurer que l’IVG est un progrès, mais pas un acquis. Il suffit de regarder les Amériques, l’Afrique, le Moyen-Orient, la Hongrie, pour mesurer que la France a envoyé un message universel.

La carte que nous exposons, grâce au Forum parlementaire européen des droits sexuels et reproductifs, le rappelle : alors que nous célébrions hier la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 4 femmes sur 10 dans le monde font face une violence archaïque. Celle des cintres et des tringles à rideau.

Aux États-Unis, 7 référendums viennent de renforcer l’IVG, mais 3 ont échoué. En Pologne, le dernier projet de loi, d’ailleurs très mesuré, pour dépénaliser l’aide à l'avortement, a été rejeté à trois voix près. « J'ai peur de tomber enceinte en Pologne » : c'est ce qu'a confié Aleksandra Socha, 26 ans, étudiante à Varsovie.

Et même lorsque des lois sont votées, il faut encore que l’IVG soit accessible, géographiquement, financièrement : parce qu'une loi ne fait pas tout, elle peut aussi rester une barrière de papier.

Je sais combien les associations, comme le Planning Familial, sont à ce titre d’inlassables vigies pour défendre les droits des femmes et leur effectivité. Je les salue ici.

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Mesdames et messieurs,

50 ans se sont écoulés, et pourtant ce discours trouve encore écho en nous – tant il était empli de gravité et de vérité. Simone Veil nous a légué bien plus qu'une loi. Elle nous a légué un exemple. Il est de notre devoir de le faire vivre.

Depuis mon élection au Perchoir en 2022, je m’y suis attachée en inaugurant non pas une, mais deux statues de Simone – son buste au Jardin des Quatre Colonnes et sa statue en or. Après cette exposition, vous la verrez sous un autre jour.

 

Mesdames et messieurs,

Les derniers mots de son discours historique, Simone les a voulus pour les générations futures – c'est-à-dire la nôtre aujourd'hui.

Mes derniers mots seront donc ceux de Simone :

« Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l'avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme. » Merci. Merci Madame Veil.

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