Inauguration de 10 statues de femmes illustres
Mardi 17 septembre
Cour d’honneur de l’Assemblée nationale
Seul le prononcé fait foi
Madame la maire de Paris, chère Anne Hidalgo,
Mesdames et Messieurs les membres du Bureau,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les membres du Comité d'organisation des Jeux Olympiques,
Mesdames, Messieurs,
« Les grands hommes qui n’ont pas leur statue sont légion », disait Guillaume Apollinaire. Il n’avait pas tort, mais il aurait dû ajouter que les grandes femmes sans statue sont, elles, encore plus nombreuses.
Aujourd'hui, avec ces 10 femmes en or que nous avons le bonheur d’accueillir, nous contribuons à rééquilibrer les compteurs. Mais soyons clairs, au Palais-Bourbon comme ailleurs, nous sommes encore loin de la parité statuaire. En effet, si l’on excepte nos nombreuses Marianne ou allégories, dont vous avez deux témoignages derrière moi, seules deux Révolutionnaires, Louise Chabry et Olympe de Gouges, étaient statufiées à l’Assemblée avant 2022.
C’est face à ce déséquilibre flagrant que, dès ma première élection au Perchoir, j’ai tenu à inaugurer un buste de Simone Veil dans le Jardin-des-Quatre-Colonnes. Grâce à cette inauguration, vous venez donc de réaliser, si vous m’avez bien suivie, que Simone Veil, tout comme Olympe de Gouges, sont désormais célébrées à l’Assemblée par deux statues ou bustes chacune. Le cumul des mandats est peut-être interdit aux députés, mais il ne l’est pas pour les statues de femmes !
Nous en avons d’ailleurs profité en inaugurant, en avril dernier, sur notre Colonnade, 6 autres statues féminines, les 6 Vénus de Milo revisitées et colorées de Laurent Perbos célébrant les Jeux. Face à la Seine, ces 6 Vénus très sportives étaient aux premières loges pour admirer cette inoubliable cérémonie d’ouverture et son bien-nommé tableau « Sororité », brillamment imaginé par Thomas Jolly. Il est parmi nous aujourd'hui et je voudrais à nouveau le féliciter, lui et toutes ses équipes.
Deux mois plus tard, les Jeux sont peut-être clos, mais leur message de modernité et d’audace doit continuer à nous inspirer. Et c’est pourquoi nous sommes ravis de prolonger aujourd'hui cet héritage d’inclusion et d’égalité, qui a été porté par ces premières olympiades paritaires, avec autant de sportifs que de sportives.
Quelques esprits grincheux pourraient cependant nous rétorquer que ces statues ne sont que de l’ordre du symbole. C’est pourtant ignorer que bien souvent, pour les femmes, leurs statues – avec un « e » – sont le reflet de leur statut – avec un « t ».
C’est pourquoi il est si symbolique et emblématique de tenir cette cérémonie ici, à l'Assemblée nationale, dans ce cœur battant de notre démocratie, où tant de libertés pour les femmes ont été conquises et obtenues de haute lutte.
Comme il y a près de 50 ans, lorsque Simone Veil monta à la tribune pour défendre la loi qui porterait son nom et dépénaliserait enfin l’IVG. Le 26 novembre prochain — une date désormais gravée sur sa statue — marquera le cinquantenaire de son discours historique. Nous ne manquerons pas de le commémorer dignement, ici, à l'Assemblée.
Installer ces statues ici même, dans cette cour d’honneur, est un symbole puissant. Le faire à vos côtés, chère Anne Hidalgo, en est un autre : car c’est la première présidente de l'Assemblée qui inaugure ces statues, aux côtés de la première femme maire de Paris depuis 1789 et l’élection du premier maire, Jean-Sylvain Bailly. Il fut aussi, pour l’anecdote, le premier président de l'Assemblée nationale.
Chère Anne Hidalgo, au-delà de ce lointain prédécesseur, nous partageons aussi des combats communs, quoique nos couleurs politiques diffèrent. Des combats pour la cause des femmes, mais aussi, j’en suis convaincue, pour ces sujets qui doivent dépasser les clivages, pour l’inclusion, la réussite de tous nos enfants, la planète que nous leur laissons en héritage.
Mais je veux également remercier trois autres femmes sans qui cette cérémonie n’aurait pu se tenir. Elles aussi ont marqué l’histoire parlementaire, en formant le premier trio féminin à la questure – chères Christine Pirès-Beaune, Brigitte Klinkert et Michèle Tabarot, merci à vous.
Enfin, ce n'est pas seulement comme présidente de l’Assemblée que je suis fière d’inaugurer ces statues. C’est aussi comme députée de la 5e circonscription des Yvelines : puisque c’est notamment à Sartrouville qu’ont été conçues ces 10 femmes en or (par Marie 3D et Marie Frères).**
Soyons cependant honnêtes entre nous : avant les Jeux, aurions-nous tous pu reconnaître sans hésiter ces 10 femmes illustres ?
Certaines nous étaient déjà familières, comme Olympe de Gouges, qui rédigea la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et eut ce mot prémonitoire : « La femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».
Face à cette Révolutionnaire se dresse désormais une Communarde, Louise Michel. Pour elle, la place des femmes ne devait pas être « mendiée mais prise ». Et que de places ont été prises depuis ! C’est la première présidente de l’Assemblée qui le dit au pied de la statue de la première Présidente du parlement européen, Simone Veil.
Comme un symbole encore, Simone Veil se tient aux côtés d’une autre grande figure du droit et de la justice, Gisèle Halimi. Elle aussi a mené de grandes luttes humanistes, pour l’avortement et la dépénalisation de l’homosexualité, en tant que députée de l’Isère. On lui disait souvent qu'elle « séduisait » l’auditoire. « Séduire ? » répondait-elle. « Vous ne l’auriez pas dit si j’étais un homme : dites plutôt convaincre. »
Des prétoires aux cercles intellectuels, les femmes ont toujours dû en faire plus que les hommes pour obtenir la reconnaissance qu’elles méritaient. À l’image de Christine de Pizan, première femme à vivre de sa plume, ou de Paulette Nardal, pionnière de la négritude mais dont l’héritage intellectuel est longtemps demeuré dans l’ombre. « Césaire et Senghor », disait-elle avec une lucidité amère, « ont repris les idées que nous avions brandies et les ont exprimées avec plus d'étincelles... Nous leur avons pavé la route, mais nous n’étions que des femmes ».
Nos deux Alice, Alice Guy et Alice Milliat ont elles aussi pavé des routes nouvelles pour les femmes : le monde du cinéma pour Alice Guy, injustement coupée au montage de l’histoire ; et le monde du sport pour Alice Milliat – alors même que Pierre de Coubertin lui rétorquait, et je vous invite à vous boucher les oreilles, qu'une « olympiade femelle serait inintéressante, inesthétique et incorrecte ».
Quant à Jeanne Barret, déguisée en « Jean Barret », c’est tout simplement le monde entier qu'elle a défriché. Une phrase du prince de Nassau à son propos aurait pu lui servir d’épitaphe : « L'aventure peut avoir sa place dans l'histoire des filles célèbres ».**
Mesdames, Messieurs, cette « aventure » de l’égalité est loin d’être achevée - et c’est pourquoi cette célébration doit être pour nous une exhortation à agir toujours pour les droits des femmes. Car n’oublions jamais cette mise en garde de Simone de Beauvoir : « Il suffira d'une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. »
Et il a suffi en effet de quelques mois pour que les Afghanes n’aient plus le droit d’apprendre et désormais de chanter. Mais aujourd'hui, grâce à Marzieh Hamidi et Husnia Anwari, les voix de deux grandes Afghanes résonneront de nouveau, comme un chant de résistance. À toutes les Afghanes, à toutes les Iraniennes, deux ans après la mort de Masha Amini, je veux dire que la France sera toujours à leurs côtés. Si nous ne nous mobilisons pas, ici à l’Assemblée, ici dans la Ville-Lumière, qui le fera ?
C’est donc autant pour garantir un droit fondamental que pour envoyer un signal de liberté au monde, que notre pays est devenu le premier à sanctuariser l’IVG dans sa Constitution. Je n’oublierai jamais ce jour où je suis devenue la première présidente d’un Congrès – ce jour où me rendant vers l’hémicycle de Versailles, j’ai traversé une allée de bustes exclusivement masculins.
Je n’oublierai pas non plus les jours suivants, quand je réunissais ici même le 1er Sommet des Présidentes d’Assemblée, pour rappeler, avec 24 de mes homologues, que nos parlements sont en première ligne pour les femmes.
Mais en la matière, ne pas avancer, c'est reculer. Alors je vous propose de continuer ensemble à avancer en plaçant cette législature sous le signe des femmes et du mot central de notre devise républicaine, « Égalité ».
Cette égalité est pourtant encore de façade, quand 20 % des maires par exemple sont des femmes. C’est pourquoi il est temps d’instaurer enfin la parité à toutes les élections locales, comme de renforcer d’autres quotas, des filières scientifiques aux grandes entreprises, en appliquant pleinement la loi Rixain et pourquoi pas, en l’étendant encore.
Des entreprises aux fédérations sportives, de la politique aux médias, nous ne pouvons plus accepter ces anomalies du XXIe siècle.
J’ai parlé de loi et certains diront que dans une Assemblée fragmentée, les accords sont périlleux. Et pourtant, la précédente Assemblée, elle aussi fragmentée, a voté à l’unanimité la loi sur l’aide d’urgence aux victimes de violences conjugales. J’en suis donc convaincue, cet hémicycle saura dépasser les clivages pour les femmes. Et j’irai même plus loin : cette Assemblée sera féministe ou ne sera pas.
Elle l’est en tout cas davantage aujourd'hui grâce à ces statues, que viendront admirer, ce week-end, plus de 10 000 visiteurs pour les Journées du Patrimoine. Elles affichent déjà complètes, mais grâce à la politique d’ouverture de l’Assemblée que j’ai instaurée, les Journées du Patrimoine, c’est en réalité tous les jours au Palais-Bourbon – et ces statues seront ainsi visibles jusqu'à la fin de l’année à tous ceux qui découvriront l’Assemblée, en réservant d’un clic sur internet. C’est essentiel, car l’Assemblée est d’abord la maison des citoyens.
En franchissant ces portes, j'espère que chacun de ces visiteurs fera siens ces mots de la romancière Lauren Elkin, new-yorkaise de naissance, parisienne de cœur, et traductrice de Beauvoir. « Regardons les statues », nous exhorte-t-elle, « considérons la vision du monde qu’elles protègent, pour en bâtir un nouveau, plus ouvert, plus égalitaire. Il est temps que les femmes réclament leur juste représentation dans l’espace public ».
Ce temps est enfin venu. Merci.