Inauguration de la Bibliothèque restaurée de l’Assemblée nationale

Mercredi 9 avril

Bibliothèque de l’Assemblée nationale

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les membres du Bureau,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Monsieur le Secrétaire général de l'Assemblée nationale et de la présidence,

Madame la Secrétaire générale de la questure,

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes le 26 pluviôse An IV près des Tuileries, dans la bruyante salle du Manège.

En ce 4 mars 1796, la jeune République ne manque pas d’ambition. Mais elle manque de livres.

Pour y remédier, le Conseil des Cinq-Cents débat d’un « projet de résolution », visant à « l’établissement d’une bibliothèque à l’usage du corps législatif ».

Au terme de discussions animées et passionnées, la résolution suivante est adoptée : « Il sera établi (…) une bibliothèque pour le corps législatif. Cet établissement sera dépendant des archives, et sous l’inspection et direction de l’archiviste. »

Cet archiviste en question ? Ce sera un député, Armand-Gaston Camus. À lui incombe cette charge sisyphéenne : archiver la République.

Le citoyen Maroudin est aussi nommé, je cite, « préposé à la destruction des rongeurs » : ironie mordante, ce rat de bibliothèque devient donc dératiseur en chef.

Peu à peu, la bibliothèque s’enrichit de collections majeures, magistrales et monumentales. Elle devient une véritable cathédrale de papier, gardienne de notre histoire nationale par la richesse de ses collections.

Et quelles collections en effet !

Regardez-autour de vous. Des livres à perte de vue. Et pourtant !

Vous voyez seulement la partie émergée de l’iceberg littéraire. 90% de nos collections sont sous vos pieds, dans 18 km de rayonnages.

Ces collections forment un récit ardent, palpitant, parfois tremblant, toujours vibrant : celui de notre histoire.

Nous en conservons des trésors uniques et magiques :

Les minutes du Procès de Jeanne d’Arc du tristement nommé Évêque Cauchon,

Les flamboyantes couleurs de la Chronique de Nuremberg, une des premières encyclopédies.

Et comment ne pas évoquer nos pièces exceptionnelles qui nous font revivre le grand frisson de la Révolution :

Le manuscrit de la Marseillaise par Rouget de l’Isle.

Les minutes du procès de Louis XVI,

Le compte-rendu du Serment du Jeu de Paume, acte de naissance de notre Assemblée nationale.

Notre collection révolutionnaire est aussi – j’y tiens beaucoup - une collection vivante, qui comme toutes ses sœurs, s'enrichit au gré d'acquisitions récentes.

Voire très, très récentes. En témoigne le don, ce mois-ci, d’une rare lettre autographe de Robespierre, legs d’Alain Tourret à qui j’adresse ma gratitude.

Et même si je parlais de Jeanne d’Arc, vous vous demandez peut-être : mais où sont les femmes ?

Or, pour avoir leur juste place dans l’histoire, les femmes doivent avoir leur juste place dans les archives. C’est pourquoi j’ai fait entrer dans nos collections L’Opinion des femmes, journal fondé par Jeanne Deroin, qui osa, en 1849, dans une République du suffrage soi-disant universel, se présenter à la députation. Ses affiches et articles sont désormais conservés ici. À leur place. Dans la maison du peuple. Car l’histoire des femmes est la trame même du récit républicain.

**

Ainsi se referme le premier grand chapitre du livre de notre bibliothèque – celui de son histoire et de ses collections.

Mais il reste encore un immense trésor à évoquer.

Non sous nos pieds, mais au-dessus de nos têtes. Non dans les rayonnages, mais dans les nuages.

Je parle bien sûr des chefs d’œuvre d’Eugène Delacroix.

Je vous propose donc de lever les yeux et d’ouvrir, ensemble, ce deuxième chapitre de notre grand livre.

Nous sommes en 1834.

La salle où nous nous trouvons sort de terre. Avec ses plafonds monumentaux : 400 mètres carré.

Reste à les décorer.

Or, un jeune peintre romantique s’est déjà illustré au salon du Roi – que l’on connaît mieux aujourd'hui sous le nom de salon Delacroix.

C’est donc naturellement qu'on sollicite notre artiste éponyme pour décorer la bibliothèque.

Et voici le fruit de son travail : ces coupoles majestueuses de la Poésie, de la Théologie, de la Philosophie et de la Science.

Et en leur centre ? La coupole de la législation.

Indéniablement, le maître du romantisme savait flatter son public.

Il avait aussi du talent.

Mais on a beaucoup d’idées reçues sur le talent. On s’imagine que le talent, c’est quand tout vient facilement.

Détrompez-vous ! Car Delacroix n’a de cesse de douter, pester, rager contre le froid et l’humidité.

Le 17 mars 1847, il note dans son Journal : « Travaillé à la Chambre. J'ai éprouvé combien ce lieu est malsain ; j'y suis trop resté. »

Il avance lentement. Il a cependant des excuses : il faut déménager les échafaudages entre deux séances, pour laisser les députés travailler ! 

Mais les questeurs finiront par le poursuivre presque physiquement, car il ne répondait plus aux courriers de retard.

En 1846, Delacroix soupire encore : « Je ne sortirai pas, je crois, de cet Attila et de son cheval. »

Mais il s’en sortira, armé de patience et de pinceaux.

Et en 1848, après dix ans de travaux, le plafond est achevé.

Mais le plus dur commence.

En 1870, un obus prussien laisse un trou béant au-dessus d’Attila. Des parlementaires superstitieux y voient un signe : la barbarie est de retour.

Une rénovation est ensuite tentée en 1931, avec des moyens peu orthodoxes : dentifrice, mie de pain, saindoux.

Puis, avec la fée électricité, la lumière est si vive que des députés demandent d’affadir la couleur. On a alors repeint sur Delacroix.

Delacroix tient.

Mais Delacroix s’obscurcit. Les fumées des canons sont remplacées par celles des cigarettes – car oui, on a fumé ici jusqu'en 1983.

En 2019, le diagnostic général ne laisse plus aucun doute. Non seulement notre bibliothèque doit être rénovée, mais les Delacroix courent un grand danger. Leur intégrité même est menacée par de nombreuses fissures - qui risquent de déchirer les toiles.

**

Ainsi s’ouvre le troisième chapitre du grand livre de notre bibliothèque.

Un chapitre que nous avons écrit ensemble.

Celui de la rénovation, la première d’ensemble de la Bibliothèque depuis 1834.

Cette réussite exceptionnelle, c'est la vôtre, c'est la nôtre. Alors je veux vous dire, simplement et sincèrement : bravo, et merci.

Merci à nos trois questeures – et je me félicite que nos relations aient été plus apaisées que sous Delacroix.

Merci à tous, restaurateurs, échafaudeurs, maçons, couvreurs, menuisiers, parqueteurs, électriciens, serruriers, peintres, chauffagistes, plombiers, éclairagistes. Vous incarnez l’excellence française.

Merci à nos apprentis, venus de toute la France. Grâce à vous, la relève est déjà prête.

Et je remercie aussi les membres de notre Conseil scientifique pour leurs conseils avisés.

Merci à tous d’avoir rendu son ciel à Delacroix. Vous méritez de puissants, de vibrants applaudissements.

(Applaudissements)

Après Notre-Dame, c’est une autre splendeur patrimoniale que l’excellence française fait revivre : notre « Chapelle Sixtine » républicaine.

Prendre soin de ce joyau, tel était mon devoir comme Présidente de l'Assemblée nationale.

Car ce trésor appartient et à la République et à tous les Français.

Nous n’en sommes pas les propriétaires. Nous en sommes les légataires et les dépositaires.

**

À présent rénovée et magnifiée, notre bibliothèque est rendue à sa vocation, à ses vocations présentes et futures.

Et tel est le 4e et dernier chapitre du grand livre de la bibliothèque : celui qui reste à écrire.

À écrire par chacun d’entre nous.

Et d’abord par vous, mesdames et messieurs les députés.

Car la bibliothèque est d’abord le lieu de travail des parlementaires.

Hugo, Jaurès, Clemenceau : tous ont travaillé ici dans un silence studieux, ciselant leurs discours sur ces tables.

Certains non-parlementaires les rejoignaient parfois, comme un certain Flaubert qui y composa son Éducation sentimentale. Preuve que littérature et politique plongent au même encrier.

Pour que chacun – député, collaborateur, fonctionnaire, parlementaire – puisse s’approprier pleinement ces lieux transformés, ces deux prochains jours vous seront entièrement réservés.

Puis notre bibliothèque continuera, fidèle à son histoire, à s’ouvrir aussi à tous les gens de lettres et d’esprit.

Et notamment aux chercheurs. Hier, je signais ici même une convention avec la Présidente de Sorbonne Université, pour mettre à disposition des chercheurs la numérisation des Delacroix, réalisée pendant le chantier.  

Si notre bibliothèque fait aussi rayonner le savoir, elle participe aussi au rayonnement international de notre Assemblée.

La semaine dernière, j’ai eu le bonheur et l’honneur d’y accueillir le couple royal du Danemark pour leur présenter un récit de voyage au Groenland de 1835. Et vous l’avez compris, ce choix du Groenland n’était pas innocent.

Mais rassurez-vous, nul besoin d’avoir du sang bleu pour admirer notre bibliothèque.

Car notre réouverture s’inscrit dans une ambition plus large : celle de la politique d’ouverture culturelle et citoyenne que je porte depuis 2022 à l’Assemblée, et qui est l’une de mes signatures.

Notre nouveau parcours, et j’en suis fière, quadruplera l’espace ouvert à nos 2000 visiteurs quotidiens – et ils seront encore plus nombreux à affluer durant la prochaine suspension.

Désormais, nos visiteurs entreront par le salon des Mariannes, avant de découvrir — les yeux éblouis — cette cathédrale de papier dans sa majesté.

Rendre ce trésor aux Français, c'était une promesse. C'est aujourd'hui une réalité.

**

Mesdames, Messieurs,

Nous en venons à l’épilogue de notre livre.

Je vous invite à lever les yeux, vers le premier pendentif de la coupole.

Delacroix y a peint la nymphe Égérie et le roi de Rome, Numa Pompilius.

Dans Les Décades de Tite-Live — dont nous conservons la première traduction française du XIVᵉ siècle — Numa fut le modèle du bon roi législateur.

Pourquoi ?

Parce qu’il écoutait Égérie. Sa muse, sa nymphe, sa conseillère.

C’est elle qui éclairait la loi par le savoir, et la règle par la raison.

Ce lien central et charnière entre culture et législation, un des fondateurs de nos collections l’avait aussi exprimé.

Un fondateur avec qui je partage deux points communs : car il fut à la fois Président de l’Assemblée nationale et nancéen.

J’ai nommé l’Abbé Grégoire.

Et je veux clore par sa maxime, parce qu’elle résume et rassemble la vocation de ce lieu :

« Pour avoir le pouvoir, il faut disposer du savoir. »

Je vous remercie.

Et parce que la littérature se nourrit de poésie, de musique, de création, j’ai le plaisir de vous inviter à un récital de l’éblouissante pianiste franco-géorgienne Khatia Buniatishvili.

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