Paris
Seul le prononcé fait foi
Madame la Présidente du Women’s Forum,
Mesdames et messieurs les dirigeants – et dirigeantes – d’entreprises,
Mesdames, messieurs,
« Mort aux ennemis de la nuance ! »
Cette inscription taguée sur un mur d’une rue de Paris, il y a près d’un an, est terriblement révélatrice de notre époque.
Nous vivons dans un monde en noir et blanc. Un monde de slogans, polarisé, radicalisé, où le simple fait d’exprimer une opinion nuancée face aux extrêmes apparaît comme un anachronisme, une incongruité ; voire une naïveté.
Nous vivons en effet dans des sociétés radicalisées, marquées par la montée des extrêmes, où la nuance et le centre n’ont plus d’espace politique.
Aux États-Unis, des études ont ainsi montré la quasi-disparition du centre politique. Il n’existe presque plus de point commun entre les démocrates les plus conservateurs et les républicains les plus modérés.
Partout dans le monde en réalité, et bien au-delà de l’Occident, la scène politique est dominée par des extrêmes de tous bords.
Ils ne cherchent pas à rassembler, mais à fracturer. Et ils considèrent que dans la société, comme dans une enceinte parlementaire, le consensus est un repoussoir.
Mais ne soyons pas naïfs : cette fièvre de la radicalité, si elle a toujours traversé l’histoire de nos démocraties, a été aussi amplifiée, renforcée, et même organisée.
Organisée par des ingérences étrangères, qui, à coups de deepfakes, de complots, d’infox, manipulent et biaisent le débat démocratique.
Organisée, aussi, par des réseaux sociaux dont les algorithmes monétisent l’indignation et la provocation.
La preuve ? Une étude de l’université de New York, portant sur un demi-million de tweets, a montré qu'un post comportant des mots comme « honte » ou « dégoût » voit son taux de retweet bondir de 20 %.
En bref, la colère est devenue un véritable business.
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Et quand on ne peut plus parler, que fait-on ? On s’invective, on hurle, on s’insulte. On ne cherche plus à convaincre - on cherche à vaincre. Et c’est alors que certains pensent avoir raison parce qu’ils crient plus fort que les autres.
La question est dès lors : comment faire pour retrouver un débat public davantage nuancé et moins polarisé ? Comment remplacer l’indignation par la réflexion ?
La réponse ? Elle est donnée par le thème de notre rencontre : en faisant du dialogue un acte de résistance.
Et en premier lieu, le dialogue direct avec les citoyens.
« Le réel », disait Jacques Lacan, « c'est quand ça cogne ». Et pour ma part, j’aime me cogner au réel des citoyens.
C'est pour cela que je tiens chaque mois des permanences citoyennes, en recevant directement des Français dans mon bureau.
C'est pour cela que je suis la Présidente de l'Assemblée nationale qui s'est le plus déplacée sur le terrain – avec plus de 75 déplacements depuis 2022.
Et quand on me dit : « N’y allez pas, sur ce barrage. C'est risqué. Les agriculteurs sont en colère. Les syndicats bloquent tout. » Moi, j'y vais. J’y fonce, pour écouter nos concitoyens.
Dans ces moments, on discute, on échange, on négocie, on échange nos arguments. Et même si le dialogue est musclé, même si nos opinions sont divergentes, nous sommes au moins d’accord sur une chose : en démocratie, il est toujours préférable de dialoguer. De débattre plutôt que de se battre.
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Mais ce dialogue direct avec les Français, ce « corps-à-corps » avec le réel, il faut aussi le structurer, l’organiser, à travers des instances de décision et de consultation.
C'est pourquoi ce « aller vers » doit se doubler d’un « faire avec » les Français.
Et cela passe par la multiplication des consultations citoyennes, pour que la démocratie ne soit plus seulement intermittente, mais permanente.
C'est toute ma conviction comme Présidente de l'Assemblée nationale : la démocratie représentative ne s'oppose pas à la démocratie participative. Au contraire, elle s'en nourrit et peut même contribuer à réduire cette polarisation du débat public. À le rendre plus apaisé et constructif.
Je prendrai un exemple concret : la loi sur la fin de vie. Les débats parlementaires ont été dignes. Ils ont été salués. Et pourquoi ? Notamment parce qu'ils furent précédés par une Convention citoyenne rassemblant 150 Français. Ils ont débattu entre eux. Ils ont préparé le terrain. Ils ont rendu le débat constructif.
C'est ce modèle qui rapproche dialogue parlementaire et dialogue citoyen que je veux amplifier : en étendant le champ du référendum, en facilitant le recours au référendum d’initiative citoyenne, ou en instaurant une grande Journée de la participation.
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Ce dialogue vital avec les citoyens doit irriguer tout le corps de la Nation. Il doit donc également naturellement passer par ces relais indispensables que sont les corps intermédiaires – associations, syndicats, entreprises - qui font la richesse et l'engagement de notre pays.
Et ce dialogue avec la société civile doit, bien sûr, trouver un écho, un prolongement, une traduction dans le cœur battant de notre démocratie : c'est-à-dire dans nos assemblées parlementaires.
Or à l'Assemblée nationale, nous faisons face à une situation inédite et complexe. L’hémicycle compte un nombre record de 11 groupes parlementaires, contre 5 il y a dix ans.
Et je peux en témoigner : créer les conditions du dialogue politique dans une telle Assemblée aussi fracturée et polarisée est un défi permanent.
Alors pour relever ce défi, j’ai moi aussi fait du dialogue une « arme de résistance ».
Concrètement, pour ce faire, je m’entretiens, très souvent, avec chaque président de groupe parlementaire ; et je négocie avec chaque député, sans exclusive aucune, sans faire le tri entre eux.
Et je peux vous l’assurer : cette méthode du dialogue a porté ses fruits. C'est ainsi qu'il y a quelques mois, le Bureau de l'Assemblée nationale, une sorte de « conseil d’administration » semblable à ceux de vos entreprises, mais où je n’avais aucune majorité, a adopté, à l’unanimité, une réforme de nos procédures de vote
ou encore le budget de l’Assemblée pour l'an prochain.
Stimuler cette éthique du dialogue, c'est aussi le sens des « semaines transpartisanes » dont j’ai été à l’initiative.
Durant ces semaines, l’ordre du jour est réservé à des propositions de lois travaillées, dès l’origine, par des députés de bords opposés.
Le résultat ? Le dialogue est apaisé et le débat recentré sur le fond. Depuis 2022, 56 textes ont été adoptés sur cet ordre du jour transpartisan, et la moitié à l’unanimité, sur des sujets majeurs comme la définition pénale du viol, les déserts médicaux,
le cancer du sein.
Concrètement, j’ai ainsi vu, chaque jour, des députés que tout opposait œuvrer, côte à côte, pour leurs concitoyens.
C'est la preuve qu’une Assemblée fragmentée n’est pas une Assemblée paralysée. La preuve qu’au-delà des fractures et des postures, le courage de dialoguer et raisonner ensemble demeure possible.
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Mesdames, Messieurs,
Ce dialogue, que nous menons au-dedans de nos frontières, les parlementaires le portent aussi au-dehors.
C’est une autre forme de dialogue, moins connue peut-être, mais tout aussi vitale : ce que l’on nomme la diplomatie parlementaire.
Cette diplomatie parlementaire, c’est aussi une diplomatie de paix. C'est une diplomatie de peuple à peuple qui permet de retisser le fil du dialogue - quand tous les canaux officiels semblent bloqués.
J’en ai eu la preuve émouvante en juillet, lors de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie : quand dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, les représentants du Rwanda et de la République démocratique du Congo se sont serrés la main.
Et cette diplomatie parlementaire, j'y ajoute une conviction : elle doit être une diplomatie féministe pour être pleinement efficace.
Des études l’ont montré : lorsque les femmes sont associées aux pourparlers de paix, la probabilité qu’un accord tienne au moins 15 ans augmente de 35 %.
C'est cette diplomatie que j’ai voulu porter et incarner en mars 2024, en organisant à Paris le tout premier sommet des Présidentes d’Assemblée.
C’est cela, notre mission. Être des passeurs de paix. Et dans ces moments, le dialogue n’est pas faiblesse, il est résistance ; il n’est pas concession, il est courage.
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Mesdames, Messieurs, Le dialogue, dans son étymologie même – dia-logos – nous invite à la raison, au cheminement par la parole pour construire du commun.
C'est ce chemin que je vous invite à arpenter ensemble.
Pour faire vivre ce « rêve » que le Premier ministre Michel Rocard traçait dans sa déclaration de politique générale, je le cite pour conclure :
« Je rêve d'un pays où l'on se parle à nouveau. (…) Je rêve d'une politique où l'on soit attentif à ce qui est dit, plutôt qu'à qui le dit. Je rêve tout simplement d'un pays ambitieux dont tous les habitants redécouvrent le sens du dialogue – pourquoi pas de la fête – et de la liberté. ».
Ce rêve, Mesdames, c'est un projet. Un projet politique exigeant, urgent. Un projet qui réclame notre courage. Le courage de nous écouter, de dialoguer et d’agir. Pour la France, pour la paix, et pour les femmes.