Cérémonie solennelle d’apposition de plaques dans l’hémicycle en hommage à Mmes Mathilde Gabriel-Péri, Germaine Peyroles et Germaine Poinso-Chapuis

Mardi 21 octobre

Hémicycle

SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI

Madame la Ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations,

Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes,

Mesdames et messieurs les membres du Bureau,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames et messieurs les membres des familles de Mathilde Gabriel-Péri, Germaine Peyroles et Germaine Poinso-Chapuis,  

Chère Catherine Frot,

Mesdames, messieurs,

Les murs de cet hémicycle se souviennent. Ils se souviennent de cette première séance de l’Assemblée constituante, il y a 80 ans. Lorsqu’à 15 heures, le président d’âge, Paul Cuttoli, prend place au « Perchoir » et prononce ces mots :

« Permettez-moi aujourd’hui de saluer (…) l’Assemblée sans doute la plus hautement représentative de la communauté française qui ait jamais existé, puisque les femmes françaises (…)  y sont justement représentés. » 

Mais qu'il fut tortueux et sinueux, ce chemin vers l’égalité !

Notre histoire est en effet pétrie de ce paradoxe. Si la France fut d’abord à l’avant-garde des droits de la femme, avec Olympe de Gouges et sa célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791, il fallut attendre l’ordonnance du 21 avril 1944 pour que le suffrage féminin soit enfin instauré.

10 ans après la Turquie, 26 ans après le Royaume-Uni.

Pourquoi ce retard ? Ce ne fut certes pas du fait de l'Assemblée nationale.

Six fois, entre 1919 et 1936, la Chambre vota pour le suffrage féminin à une très large majorité ou à l’unanimité ; mais six fois, se heurta au Sénat.

Écoutons ainsi ce sénateur radical, Alexandre Bérard, justifiant son vote en 1919 : « Plus que pour manier le bulletin de vote », assura-t-il, « les mains de femmes sont faites pour être baisées ».

La féministe Louise Weiss y répliquera avec une ironie mordante, en offrant aux sénateurs des chaussettes brodées de ce message : « Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées ».

Il faudra donc la Résistance, le sang versé, pour que l’évidence s’impose.

En avril et mai 1945, les femmes votent pour la première fois aux municipales. Près de 12 000 sont élues conseillères municipales – près de 3 % du total. 

Le 21 octobre 1945, elles votent ensuite pour la première fois à des élections nationales – pour élire la nouvelle Assemblée constituante.

310 femmes sont candidates. 33 sont élues. 33 premières, 33 pionnières.

Elles sont ouvrières, avocates, enseignantes, employées, infirmières. La benjamine, Denise Bastide, a 29 ans ; la plus âgée, Marie Texier-Lahoulle, 56. Elles viennent du Gard (pour Gilberte Roca) à la Guadeloupe (pour Eugénie Eboué). Elles sont 17 communistes, 6 socialistes, 9 du Mouvement Républicain Populaire et une du Parti républicain de la Liberté.  

Au-delà de leurs clivages, un point commun les unit, forgé dans le fer et le feu : la Résistance. Sur les 33 élues, 27 combattirent dans l’Armée des ombres. 8 furent déportées. C'est à leur vaillance, et à leur intrépidité, que notre exposition, « Résistantes et combattantes » rend un hommage vibrant et nécessaire.

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Mesdames, Messieurs,

Aujourd'hui, parmi ces 33 pionnières, nous en honorons trois. Trois Résistantes. Trois Vice-Présidentes de l'Assemblée nationale.

Je commencerai par Mathilde Gabriel-Péri.

Son histoire est celle de la plus absolue des résiliences. Fille d'ouvriers agricoles, ouvrière elle-même, militante communiste, elle apparaît forcément suspecte aux yeux des autorités françaises, en pleine débâcle, à l’heure où la France réclame des boucs émissaires.

C’est donc derrière les barbelés du camp de Rieucros en Lozère, qu'elle apprend, le 15 décembre 1941, l'insoutenable : son époux, le héros communiste de la Résistance, Gabriel Péri, a été fusillé par les nazis au Mont-Valérien.

Cependant, d’une force d’âme incroyable et malgré la maladie, elle s'échappe, pour gagner le maquis du Vercors. 

À la Libération, membre de l'Assemblée consultative provisoire, puis élue le 21 octobre 1945 à l’Assemblée Constituante, elle devient la voix des sans-voix : familles de fusillés, veuves, orphelins. Elle dépose pour eux près de 25 textes de lois.

Cette « fille du peuple » sut se faire un prénom à l'Assemblée nationale. Elle en gravit les échelons jusqu'à la Vice-Présidence, où elle fut élue en 1950 et réélue en 1951. Elle présida 59 séances dans cet hémicycle.  

C'est elle que le général de Gaulle choisit pour prononcer un des 4 discours de la victoire, en mai 1945.  Ce jour, elle proclame l'avènement d'une « femme nouvelle ». Ce texte historique et magnifique, nous allons l'entendre tout à l’heure, porté par la voix de Catherine Frot, que je remercie chaleureusement.

Mathilde Gabriel-Péri s’éteignit le 16 décembre 1981, très exactement 40 ans et 1 jour après le martyre de Gabriel Péri.

Chère Andrée Taurinya, vous qui êtes la petite-nièce de Mathilde Gabriel-Péri, je sais combien ce destin familial vous tient à cœur.

En juillet 2024, en ouverture de cette 17e législature, l'ordre alphabétique vous plaça sur le siège de Gabriel Péri. Aujourd'hui, vous êtes juste à côté de celui de Mathilde. Ce n'est plus un hasard, c'est un hommage.

En ce 21 octobre, Mathilde et Gabriel Péri se retrouvent désormais réunis par-delà la mort, consacrés par ces deux plaques honorant ce couple posthume de la République.

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Mesdames, Messieurs,

La deuxième femme que nous honorons est Germaine Peyroles.

Née dans une famille dreyfusarde, elle avait l’habitude d’être une pionnière : car elle fut l'une des toutes premières femmes à s'inscrire au barreau de Paris.  

Avocate de conviction, défenseure de l’État de droit, c'est sans hésiter qu'elle rejoint la Résistance. Elle mène des actions de sabotage et crée un réseau d'évasion pour les aviateurs alliés, hébergeant un officier du Special Operations Executive britannique.

Quand son mari, Georges, lui aussi féministe, avocat et résistant, est arrêté, elle se rend au siège de la Gestapo, et, par sa seule audace, convainc un officier SS de son innocence.  

Auréolée de gloire et décorée de la Médaille de la Résistance, elle poursuit, après la guerre, son engagement au centre-droit. Elue députée MRP de Seine-et-Oise, elle est aussi élue Vice-Présidente de l'Assemblée nationale à 4 reprises, en 1946, 1947, 1948 et 1951.

Première femme vice-présidente de l'Assemblée nationale sous la IVe République, et la 2e de notre histoire parlementaire après Madeleine Braun, elle présida pas moins de 111 séances. Et devint vite célèbre pour ses rappels à l'ordre, fermes et autoritaires, à l’encontre de députés indisciplinés.

Son fils, l’écrivain Gilles Perrault, a raconté la condescendance de ces hommes et de leurs « petits sourires en coin ». Certains allaient jusqu’à lui lancer : « Les femmes, pas vous Germaine bien sûr, mais dans les campagnes, elles sont dans la main du curé .»

Mais Germaine Peyroles n'était pas femme à se laisser intimider. Défenseure de la liberté du travail face à ses adversaires communistes, elle porta aussi une haute vision de l’intégrité parlementaire, et proposa, avec d’autres, de remédier aux failles de la IVe République en supprimant la double investiture.

N’oubliant jamais où les affres du nationalisme avaient plongé l’Europe, elle fut enfin une fervente partisane du fédéralisme. Elle prit ainsi la parole au grand Congrès de l’Europe à La Haye, en 1948, sous la présidence de Winston Churchill et lança cet avertissement en 1951 : « Il y a un choix à faire : ou bien un monde concentrationnaire dont Moscou est le cerveau et le moteur, ou bien un monde libre qui n'est uni que par la notion d'un péril commun. Pour ne pas avoir à faire l'enjeu de cette option il faut faire l'Europe. C'est une nécessité vitale. »

Pionnière, Germaine Peyroles savait donc également être visionnaire.

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Mesdames, Messieurs,

Enfin, nous honorons Germaine Poinso-Chapuis.

Enfant surdouée, major de sa promotion à la faculté de droit, elle s'inscrit au barreau de Marseille en 1921. Elles ne sont alors que 3 avocates, face à 200 hommes. Et quelle émotion de voir, chère Marie-Dominique POINSO-POURTAL, que vous êtes aujourd'hui, un siècle après, la bâtonnière du Barreau de Marseille.

Dans la cité phocéenne, votre grand-mère, vite surnommée « l’As du Barreau », se fait l’avocate de tous, mais en particulier des femmes, en étant toujours guidée par cette devise : « Sœurs pour le meilleur ».

La naissance de son fils Maurice, atteint d'un handicap, et à qui nous pensons, fera d'elle une avocate infatigable des enfants, en particulier des plus vulnérables.   

Puis viennent la guerre, « l’étrange défaite », l’armistice. Pour Germaine Poinso-Chapuis, nulle hésitation : « Aucun d’entre nous, en famille », dit-elle, « n’avait pu accepter les discours sinistres de Pétain ».  Sa fiche de la police vichyste mentionnera qu'elle « pense mal et depuis longtemps ».

Elle cache des Juifs, s'occupe d’orphelins, planifie l’évasion de résistants. Elle vole même le tampon d'un juge pour fabriquer de fausses ordonnances de non-lieu.

Son héroïsme lui valut à la fois la Médaille de la Résistance et la reconnaissance des Marseillais, qui l’élurent en mai 1945 au conseil municipal, puis la portèrent à la députation. 

À l'Assemblée, membre de la commission de la justice puis de la famille et de la santé publique, elle s’investit contre le fléau de l’alcoolisme et pour améliorer la santé des enfants.

C'est aussi en cette année 1945, si symbolique, qu'elle vous donne naissance, cher Jean-Marie Poinso.  

En 1947, l'histoire frappe à la porte de votre mère. Réveillée à 1h du matin par le Président du Conseil Robert Schuman, elle apprend sa nomination comme ministre de la Santé et de la Population. Sa première réaction ensommeillée entre dans les annales : « La belle affaire, ce n’était pas la peine de me réveiller pour ça ».

Puis elle réalise. Elle réalise qu'elle devient la première femme ministre de plein exercice de l'histoire de France, la seule avant Simone Veil. 

Au ministère, tirant profit de son intelligence et de sa force inouïe de travail (elle sera d’ailleurs surnommée « la patronne »), elle dépose treize projets de loi, sur la vaccination obligatoire, le statut des infirmiers ou la protection de l'enfance… et elle affronte tous les fléaux : sous-alimentation, mortalité infantile, pauvreté notamment des femmes, alcoolisme...  Ce dernier point lui vaudra d’ailleurs la haine tenace d’un autre Marseillais, un certain Paul Ricard.  

Dans cette salle des séances, sa prestance et son caractère impressionnent. Le Président du Conseil Paul Ramadier lui lance même un jour : « Madame, vous êtes le seul homme de cette assemblée ».

Elle fut pourtant sacrifiée par son propre parti, qui publia au printemps 1948, sans la prévenir, un décret qui portait son nom, et qui promouvait l’école libre.  

Abasourdie et la mort dans l’âme, elle quitte le gouvernement. Mais pas l'Assemblée nationale. Car, comme Vice-Présidente en 1949 et 1950, elle poursuit une activité parlementaire soutenue. Elle préside ainsi 68 séances et dépose pas moins de 37 propositions de loi sur la protection de l’enfance et la santé publique.

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Mesdames, Messieurs,

En 1945, elles étaient 33. En 1958, elles n'étaient plus que 8. Et en 1993, elles n’étaient encore que 35 !  

Cela nous prouve que l’égalité n'est pas un long fleuve tranquille ; elle subit aussi de violents reflux et ressacs. L’actualité le démontre chaque jour, avec les terribles régressions en cours aux États-Unis, en Iran, en Afghanistan.

Et en France, à l'Assemblée nationale, sommes-nous vraiment et totalement exemplaires ? Certes, d’immenses avancées ont pu être obtenues en 30 ans. Mais la parité est encore loin d’être une réalité aujourd'hui : puisqu’avec 208 femmes élues députées en 2024, le taux de féminisation plafonne à 36 %, soit presque 2 hommes pour une femme.

Dès lors, il nous faut continuer à agir, sans relâche, pour que la parité ne soit plus une exigence, mais une évidence.

Et pour cela, il faut, comme nous le faisons aujourd’hui, rendre visible les femmes, inscrire leur nom dans la pierre. C’est un acte éminemment politique. C'est offrir aux jeunes filles des ‘role models’, dont la science sociale a montré toute l’utilité.

C'est pourquoi Simone Veil a enfin son buste dans nos jardins, et Olympe de Gouges un bâtiment à son nom. C'est pourquoi nous avons installé les 10 statues de femmes en or, dans la cour d’honneur de l'Assemblée nationale.

Et c'est pourquoi aujourd'hui, 80 ans jour pour jour après leur élection, trois nouvelles plaques sont apposées en l'honneur de Germaine Poinso-Chapuis, Germaine Peyroles et Mathilde Gabriel-Péri.

En trois ans, nous aurons ainsi plus que doublé le nombre de plaques honorant des femmes, après celles apposées en l'honneur de Rachel Lempereur, Marie-Madeleine Dienesch, Marie-Claude Vaillant-Couturier et, en juin 2023, de Madeleine Braun.  

Afin que les filles qui visitent cet hémicycle, en voyant ces noms, se disent : ‘oui, c'est possible. Elles l’ont fait, je le ferai aussi.’

**

Mesdames, Messieurs, ce combat pour la parité et l’égalité, 80 ans après, nous devons continuer à le mener.

Et notamment dans nos territoires, alors que seulement 2 maires sur 10 sont des femmes.

C'est pour cela que le Parlement a voté, cette année, pour instaurer le scrutin de liste paritaire aux élections municipales dans les 25 000 communes de moins de 1000 habitants.

Oui, la lutte est politique ; mais elle est aussi économique. Dans trois jours, nous célébrons justement un autre anniversaire : les cinquante ans de la grève générale des femmes en Islande, qui arracha l’adoption de lois fondatrices pour l’égalité, notamment salariale.

Ce combat, nous le menons aussi en France, par exemple avec la loi Rixain imposant 40 % de femmes aux postes de direction des grandes entreprises d'ici 2030. En la matière, nous avons beaucoup de retard : car seules 4 entreprises du CAC 40 sont dirigées par des femmes.

Voici pourquoi ce 21 octobre doit résonner non seulement comme un appel à nous souvenir, mais aussi comme un appel à agir. À s’engager. À oser se présenter aux élections.

**

Mesdames, Messieurs,

Je laisserai le dernier mot à l’une de ces 33 pionnières, Germaine Peyroles, qui s’exprima, depuis cet hémicycle, sur le vote des femmes en ces termes :

« Il arrive bien souvent dans l’histoire des peuples un moment (…) auquel le recul du temps donnera l'importance d'un événement décisif. J'ai la conviction que c'est un de ces moments-là que nous sommes en train de vivre. »

Ce moment, 80 ans après, c'est le nôtre. Continuons à nous en saisir, pour nous souvenir et pour agir.

J’invite à présent Catherine Frot à venir à ce pupitre interpréter le premier de nos trois textes : le discours sur la femme nouvelle de Mathilde Gabriel-Péri.

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