50e session plénière de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie
Samedi 12 juillet
Assemblée nationale
Seul le prononcé fait foi
Je déclare ouverte la 50e session plénière de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie.
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie,
Mesdames et Messieurs les Présidents d’Assemblée,
Monsieur le Ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux,
Madame la Déléguée générale,
Mesdames et messieurs les parlementaires
Mesdames, messieurs,
Avant de commencer mon intervention, je voudrais saluer l’accord qui est intervenu cette nuit au sujet de la Nouvelle-Calédonie, terre qui est chère au cœur de la France et au cœur de la Francophonie. Cette nuit, par le dialogue, par le dépassement de soi, les différents partis ont réussi à signer un document qui entérine un accord de paix qui assurera à la Nouvelle Calédonie un avenir prospère, nous le souhaitons tous. C’est donc la victoire des femmes et des hommes de bonne volonté. Bravo à eux !
« Ce sont les peuples qui, par l’intermédiaire de leurs élus, pousseront les gouvernements à aller de l’avant. Il faudrait réunir, dans une association interparlementaire, les parlements de tous les pays où l’on parle le français. »
En 1966, Léopold Sédar Senghor, le poète-président du Sénégal, tissait par ces mots les fils d’une utopie : créer un parlement des parlements francophones.
Près de soixante ans plus tard, nous continuons à donner chair et corps à l’intuition de Senghor.
Il aurait été fier de nous voir ici réunis, dans un hémicycle où il a lui-même siégé, pour cette 50e plénière de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie.
Tous ensemble, chers collègues, nous sommes les défenseurs et tisseurs de cette Francophonie - qui désormais, pour citer le poète martiniquais Édouard Glissant,
« fait courir à la langue les hasards du monde ».
Car la langue française a depuis longtemps échappé à la France, qui ne compte plus qu’un quart de ses locuteurs au plan mondial.
Elle est devenue ce « Soleil qui brille hors de l’Hexagone » dont parlait Senghor.
Un soleil qui jamais ne se couche. Un soleil qui rayonne depuis les neiges du Québec jusqu'aux pentes de l’Atlas. Qui réchauffe les rives du Mékong et du bassin du Congo. Qui éclaire de Beyrouth à Bruxelles, de Phnom-Penh à Port-au-Prince, de Dakar à Douala, de Paris à Port-Gentil.
C’est sur tous les continents que les 320 millions de Francophones que nous représentons font vivre notre langue commune, se l’appropriant, l’enrichissant. Comme le prouve avec éclat le nouchi d’Abidjan, cet argot urbain ivoirien.
Abidjan où je m’étais rendue, en 2023, à l’invitation de notre collègue et ami Adama Bictogo, pour l’ouverture des travaux de l’Assemblée nationale ivoirienne et la session annuelle de la Région Afrique de l’Assemblée parlementaire francophone.
Ce fut ma première expérience de notre Assemblée commune, celle d’une francophonie vivante, vibrante, agissante.
Mais ce qui nous fédère, chers collègues, ce n'est pas seulement un legs ou un lexique. C'est un lien. C'est une grammaire du cœur et des valeurs – ces valeurs universelles rappelées par notre Charte de la Francophonie : la paix, la solidarité, l’État de droit, la diversité culturelle.
Nous pouvons être collectivement fiers que le français soit aujourd'hui la langue des gens qui se parlent. La langue du multilatéralisme, des médiateurs, dans laquelle ont été formulés les premiers projets de paix perpétuelle.
**
Cet idéal de paix et de dialogue, cet idéal francophone, nous en avons tant besoin aujourd'hui.
Car regardons la situation internationale telle qu'elle est : les Nations Unies sont bloquées et entravées, l’unilatéralisme étouffe le multilatéralisme, et le dialogue des puissances tend le plus souvent au dialogue de sourds.
Face à cette paralysie des piliers de l’ordre international, la Francophonie en général, et notre Assemblée en particulier, font figure d’exception. Elles ne sont pas un simple refuge - elles représentent une alternative possible. Elles représentent un contrepoids. Elles représentent un remède.
Cette crise systémique du multilatéralisme ouvre par conséquent, pour notre Assemblée, une fenêtre d'opportunité.
L'occasion de nous saisir pleinement de notre rôle politique.
L'occasion de prouver que la Francophonie est non seulement un espace linguistique, mais une force agissante de régulation, de médiation et de paix.
Oui, la Francophonie a tout le potentiel pour devenir une « ancre dans un monde en crise ».
Une ancre, avec un « a ». Mais aussi une encre, avec un « e » – pour écrire ensemble notre destin commun.
Et cette ancre, c’est vous. C’est nous. C’est l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie.
**
Après Kigali, Tbilissi et Montréal, nous sommes fiers, avec le Président Larcher, que cette plénière se tienne ici, à Paris, qui accueille aussi le Secrétariat général de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Et nous sommes fiers aussi de vous voir réunis en nombre – puisque vous êtes plus de 59 sections, venues de 51 pays différents.
Je voudrais saluer particulièrement les 28 présidents d’Assemblée qui sont avec nous, une participation exceptionnelle.
Votre présence n'est pas seulement un honneur ; elle est un signe. Le signe d'une attente, d'un vrai besoin d’Assemblée parlementaire francophone.
Et ce signe, ce message, sont encore amplifiés par les quatre nouvelles adhésions que notre plénière s’apprête à approuver :
– Le Ghana,
– Sao Tomé-et-Principe,
– Le Land de Sarre,
– Et l’Assemblée parlementaire de l’Océan Indien comme observateur.
En notre nom collectif, je vous souhaite chaleureusement la bienvenue dans la famille parlementaire francophone !
**
Alors pourquoi ce besoin, cette demande d’Assemblée Parlementaire de la Francophonie ?
J’y vois trois raisons fondamentales, qui sont aussi trois forces, trois atouts politiques de notre assemblée.
Notre première force, c'est notre nature même : nous sommes des parlementaires. Nous ne sommes pas la voix des États ; nous sommes la voix des peuples.
Et notre indépendance nous permet de transcender les antagonismes entre exécutifs, pour bâtir une fraternité des Parlements et une Francophonie transpartisane et transfrontière.
Notre deuxième force, c’est notre utilité concrète face aux crises. Une plus-value tangible, politique.
Bien sûr, notre Assemblée parlementaire a d’abord un rôle consultatif. Elle ne peut pas tout. Mais elle peut beaucoup.
Elle agit à travers cette diplomatie parlementaire qui est un axe fort de son action.
Elle agit en participant aux Missions d’observation électorale initiées par l’Organisation Internationale de la Francophonie – 10 depuis 2024.
Elle agit par des missions de bons offices, comme récemment en Afrique, dans la région des Grands Lacs.
Cette mission a été menée par notre Président, Hilarion Etong, et la déléguée générale Amélia Lakrafi, dans le droit fil de la résolution adoptée à Montréal par cette Assemblée. Elle a apporté sa pierre aux efforts de paix qui ont conduit à la signature d’un accord, entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda, sous le parrainage des Etats-Unis.
Ce rôle politique de la Francophonie, pour construire un monde plus solidaire et moins solitaire, nous avons ainsi voulu, avec le Président Larcher, le mettre au centre de cette plénière.
Cette vocation, cette mission, notre Commission politique continue à la porter en cette plénière, avec l’examen de plusieurs résolutions sur des crises qui loin d’être régionales, nous concernent tous.
La tragédie en Haïti.
L’instabilité persistante et la tentation de l’isolement au Sahel.
La situation en République démocratique du Congo.
L’embrasement au Moyen-Orient.
Et nous traiterons enfin de cette autre guerre, insidieuse et déstabilisatrice pour nos sociétés, celle de la désinformation.
Notre troisième force, enfin, c'est d’être une Assemblée enracinée dans le réel et le vécu des citoyens.
Car l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, c'est un écosystème en action permanente.
Avec ses commissions. Avec ses réseaux, pour les femmes et les jeunes.
Et c’est cette capacité d’ancrage dans les sociétés que nos travaux reflètent, à travers les délibérations sur la justice transitionnelle, les libertés à l'ère du numérique,
ou la restitution des biens culturels.
**
Mais pour agir sur le monde, il faut d'abord être exigeant avec nous-mêmes.
Cette 50ᵉ plénière n’est donc pas seulement un miroir tendu aux crises ; elle est aussi un miroir tendu à nous-mêmes.
Comment rendre notre Assemblée plus forte ? Plus visible ? Plus efficace ?
Le récent rapport présenté à la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, par mes collègues Amélia Lakrafi et Aurélien Taché,
peut à cet égard nous inspirer.
Personnellement, je pense que nous avons devant nous trois chantiers stimulants à mener.
Le premier chantier, c'est celui de notre affirmation institutionnelle. Notre Assemblée doit devenir le véritable pendant parlementaire et politique de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Pour cela, il faut capitaliser sur un de nos atouts maîtres : le partage de nos expertises et de nos meilleures pratiques.
Nous devons mieux les diffuser, pour aider tous les parlements francophones à mieux légiférer. Et c’est précisément ce sur quoi nous travaillons durant cette plénière, en finalisant plusieurs corpus législatifs ambitieux : sur la pollution plastique, les lanceurs d’alerte ou le droit foncier.
Mais notre plus-value va au-delà encore du pur travail législatif. Notre Assemblée est aussi une agora d’expériences, qui nous offre une précieuse opportunité : celle de pouvoir confronter nos pratiques, de croiser nos cultures parlementaires, notamment en matière d’exemplarité et de déontologie.
C’est dans cette optique que notre Commission des affaires parlementaires a examiné, hier, un projet structurant : celui de recenser tous les codes d’éthique et de déontologie de nos assemblées. Cette cartographie nous permettra de comparer nos règles, de nourrir les échanges entre nos déontologues, afin que la transparence et la probité soient le bien commun de tout l'espace parlementaire francophone.
Le deuxième chantier qui est à mener, c'est celui du combat pour les droits des femmes, qui doit se poursuivre, qui doit s’amplifier.
C’est pourquoi l’Assemblée parlementaire francophone, portée par le dynamisme de son Réseau des femmes parlementaires, dont je salue ici la présidente, a pris à bras-le-corps tous les facteurs systémiques des inégalités de genre : la sécurité des femmes dans les conflits, le droit à l’avortement, la lutte contre l’apartheid de genre. Autant de combats cardinaux qui sont au cœur de cette semaine et que nous devons porter tous ensemble !
Un an après le premier Sommet des Présidentes d’assemblée, que nous avions réuni ici à Paris, je me réjouis de voir cette diplomatie féministe être toujours portée au plus haut-niveau – comme en témoigne la participation de 8 Présidentes d’assemblée à notre plénière. Notre présence, mes chères homologues, n'est pas que symbolique. Elle est éminemment politique.
Le troisième chantier, enfin, c'est celui de la transmission à la jeunesse, pour que le français se conjugue toujours au futur.
Madame la Déléguée Générale, c’est dans ce but que vous proposez de créer une Académie francophone de la langue commune, ou de lancer enfin cet Erasmus de la Francophonie. Nous en parlons depuis longtemps, il est temps de le faire.
**
Mesdames, Messieurs, chers collègues,
Notre mandat, notre mission, un géant de la poésie, de la Francophonie, mais aussi de l'Assemblée nationale, nous l’a tracée dans son Cahier du retour au pays natal.
Une œuvre magistrale, dont le tapuscrit original est conservé dans notre Bibliothèque. Une œuvre d’Aimé Césaire, député de la Martinique pendant 48 ans et camarade de classe de Senghor.
Je cite Césaire : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »
Voici notre serment. Etre la voix des sans-voix.
Et pour cela, notre plus belle arme, c'est notre âme.
Cette langue de l’universel, que nous parlons, partageons et aimons.
Cette langue qui nous relie et nous rallie. La langue française.