À l’occasion de la clôture du Forum Femmes & Challenges

Jeudi 4 décembre

Zénith de Rouen
Seul le prononcé fait foi

Madame la Ministre, Agnès Firmin Le Bodo,

Madame la première Vice-Présidente de la Région Normandie,

Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d’industrie de région Normandie,

Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d’industrie Rouen métropole,

Madame la Présidente du Forum Femmes & Challenges,  

Mesdames, messieurs,

« Il faut en finir avec les stéréotypes, casser les clichés… et tout cela passera par le rassemblement, par l’exemplarité, par le dialogue ».

Chère Audrey Régnier, c'est par ces mots que vous décrivez les ambitions et objectifs du Forum Femmes & Challenges que vous présidez.

Et j’ai envie de vous dire, avec un sourire : vous avez bien du courage.

Car il en faut, du courage, pour croire encore, à notre époque, dans les vertus du dialogue, du rassemblement, de la nuance.

C'est même devenu un véritable acte de résistance.

Nous vivons en effet dans un monde de slogans. Un monde manichéen, polarisé, radicalisé - où la simple volonté d’exprimer une opinion nuancée apparaît comme une incongruité, voire une naïveté.

Dans ce monde, notre monde, la nuance et le centre n’ont plus d’espace politique. Face à eux, se dressent, de plus en plus puissants, des extrêmes qui ne cherchent pas à rassembler, mais à fracturer. Et qui jugent que dans la société, comme au Parlement, le dialogue apaisé, le consensus, sont un véritable repoussoir.  

Certes, cette fièvre de la radicalité a toujours traversé l’histoire de nos démocraties. Mais elle est aujourd'hui amplifiée, renforcée, et même organisée par des ingérences étrangères et des réseaux sociaux, dont les algorithmes ont pour business model l’indignation et la provocation.

Vous en avez peut-être fait l’expérience sur Twitter : qui d’entre vous, après avoir défendu nos droits, n’a pas été traitée de « Féminazie ? »

Tel est le drame actuel du débat public : quand on ne peut plus dialoguer, on s’invective, on s’insulte. On ne cherche plus à convaincre - on cherche à vaincre.

Alors oui, dans ces conditions, parier sur le dialogue et la nuance me parait être un acte de bravoure et de résistance politique et démocratique.

Et ce courage, j’ai envie de l’avoir avec vous. Parce qu'un débat public sain est indispensable pour que notre démocratie soit saine.

**

Mais aussi parce que cette polarisation des esprits, cette radicalisation du champ politique, distillent un poison mortel pour nos droits. Pour les droits des femmes.

Car quand les extrêmes montent, quelle est leur première cible ?

Ce sont les droits et les libertés, et en particulier ceux des femmes.   

Comment pourrait-il en être autrement ? Ceux qui glorifient la force et la passion, plutôt que la nuance et la raison, sont toujours en quête de sujets à dominer. Et historiquement, le premier sujet de domination, c'est la femme.  

**

Cette remise en cause de nos droits, ce vent réactionnaire, une Rouennaise d’adoption l’avait à la fois subi et prédit.

Laissez-moi vous faire un bond dans le temps. Nous sommes en 1932, ici même à Rouen. Une jeune agrégée arrive dans la cité normande, pour enseigner la philosophie au lycée Jeanne d’Arc.

Son nom ? Vous la connaissez tous : je parle bien sûr de Simone de Beauvoir.

C'est ici, sur ces pavés rouennais, qu'elle a compris qu'on ne naît pas femme, on le devient. C'est ici qu'elle nous a appris que l’égalité ne s’attend pas : elle s’arrache de haute lutte.

Elle nous avait également prévenues, avec cette lucidité qui traverse le temps, je la cite : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Cette crise n'est plus à nos portes. Elle a forcé la serrure. Un vent mauvais s'est en effet levé, aux États-Unis, en Iran, en Afghanistan, en Pologne : celui d’un backlash réactionnaire. Celui d’une contre-offensive masculiniste décomplexée. 

Avez-vous vu ainsi se propager, après les élections américaines, ce slogan glaçant : « Ton corps, MON choix » ? Lancé par l’extrême-droite, il a vu ses mentions bondir de 4600 % en 24 heures. Dans le même temps, les appels à abroger le 19e amendement, celui octroyant le droit de vote des femmes, explosaient de 663 %. Et le plus terrifiant ? Le lendemain, des garçons le scandaient aux filles dans les lycées américains.

Et dans notre pays ? Ne croyons pas être à l’abri. Car les enquêtes du Haut Conseil à l’Égalité sont formelles : les hommes de 25-34 ans sont souvent plus sexistes que leurs pères ! Presqu’un quart des 18-24 ans considèrent même que pour faire se respecter, il est légitime de se montrer violent envers une femme et de lui mettre une gifle.

Une gifle. En 2025.

Et cette violence des mentalités trouve des traductions concrètes, terribles et tragiques, dans les faits. En France toutes les 7h, il y a une femme que son conjoint ou ex-conjoint tue, tente de tuer, conduit à se suicider ou à tenter de se suicider.

Toutes les deux minutes, une femme est aussi victime de viol, de tentative de viol ou d’agression sexuelle ; toutes les 23 secondes, une subit du harcèlement sexuel. Plus de 5 depuis le début de mon discours.

Alors je suis venue vous le dire : ça suffit. C'est fini. Nous ne laisserons plus rien passer. Nous ne nous laisserons plus faire.

**

D'autant qu'à cette violence physique intolérable et insupportable, s’ajoute une autre violence : la violence économique. Celle des inégalités des salaires et des carrières. Nous les avons toutes subies ici, à des degrés divers.

Alors bien sûr, on nous demande d’être plus patientes. On nous dit : « rassurez-vous, l’égalité va arriver », c'est une question de temps.  

Mais ONU-Femmes a fait le calcul : dans le monde, au rythme actuel, l’égalité réelle sera atteinte dans… 300 ans. Qui, ici, dans cette salle, a le temps d'attendre trois siècles ?

Et en France ? Regardons la réalité en face. 

J’ai une question à vous poser. Mesdames, êtes-vous parties en vacances le 10 novembre dernier ?

Vous auriez peut-être dû. Car si l’on tient compte de l’écart de rémunération à temps de travail égal entre femmes et hommes, soit 14,2% en 2023 selon l’Insee, vous avez entamé à partir de cette date une période de bénévolat.

Certes, depuis 1995, ces inégalités se sont réduites de 8 points.

Certes, à poste et compétences comparables, dans le privé, cet écart tombe à 3,8%.

Mais 3,8 % d’écart, soit quasiment un jour ouvré par mois, c’est encore injustifiable.

Quel homme accepterait de travailler un jour de plus que les femmes pour le même salaire ? Alors, pourquoi devrions-nous l’accepter ?

Non seulement les femmes sont moins bien payées, mais elles sont aussi moins nombreuses dans les postes à responsabilité. Seuls 20 % des chefs d’entreprises sont des femmes… Enfin, sauf quand ces entreprises sont en lien avec la santé ou le social : là, c'est 73 % ! Et dans les grandes entreprises ? C'est pire. 4 femmes seulement sont à la tête d’entreprises du CAC 40. 4 sur 40. C'est dérisoire. C'est scandaleux.

Et en politique, où en sommes-nous ? C’est la première femme Présidente de l'Assemblée en 233 ans d’histoire qui vous le dit : malgré d’immenses et d’indéniables progrès, les injustices résistent et les inégalités persistent.

En 2025, il n’y a toujours pas eu de Présidente de la République ou du Conseil Constitutionnel.  Et dans nos collectivités, seuls 2 maires sur 10 sont des femmes. 

C'est bien pourquoi le Parlement a récemment adopté une loi très importante, pour laquelle je me suis battue : la loi qui étend aux communes de moins de 1 000 habitants – c'est-à-dire à 25 000 des 35 000 communes de France - le scrutin de liste paritaire.

Car comme Simone Veil, je pense qu'à un moment donné, les quotas, et donc la loi, c'est une des solutions les plus efficaces pour faire vraiment avancer la parité.  

La preuve ? En 2013, juste avant l’adoption de la loi instaurant un scrutin binominal pour l’élection des conseillers départementaux, moins de 14 % de ces conseillers étaient des conseillères. Après les élections de 2015, ce taux est passé à 50,1%. Simple. Basique.

De même, dans le privé, sous l'impulsion des lois Copé-Zimmermann de 2011 et Rixain de 2021, imposant des quotas dans les instances dirigeantes des grandes entreprises, la féminisation s'est accélérée à vitesse grand V : en moins de dix ans, la part des femmes a ainsi bondi de 29 % à 46 % dans les conseils d’administration du SBF 120, et de 12 % à 29 % dans leurs Comex.

Si j’ai parlé des départements et des entreprises, l’État central doit lui aussi montrer l'exemple. C’est ce que nous avons fait avec la loi du 19 juillet 2023 pour la parité dans la haute fonction publique, qui relève à 50 % le taux minimal de femmes pour les primo-nominations aux emplois supérieurs.

Et pour la parité, nous allons continuer à agir. C'est ainsi qu'en début d’année prochaine, l'Assemblée examinera également une nouvelle loi importante pour l’égalité salariale : celle transposant une directive européenne pour la transparence totale des salaires. Avec cette loi, nous allons briser cette opacité qui fait le lit de l’iniquité, pour garantir qu'à travail égal, le salaire soit égal. 

**

Mais puisque j’ai parlé de l'Assemblée nationale, j’entends déjà votre objection : « Comment une Assemblée si fracturée, si polarisée, si divisée, pourra jamais adopter la moindre loi importante dans le futur ? ».

Or depuis 2022, au-delà des fractures et des clivages, l’Assemblée que je préside a toujours su se réunir sur l’essentiel. Sur l’égalité des genres.

Oui, vous pouvez être fiers des parlementaires français. Fiers que notre pays ait été le premier au monde à inscrire l’IVG dans sa Constitution. Fiers que les parlementaires aient inscrit, dans la loi, l’absence de consentement dans la définition pénale du viol, au terme d’un travail transpartisan et de grande qualité.

Nous pouvons être aussi fiers d’avoir reconnu l’emprise psychologique dans les violences conjugales. Fiers d’avoir instauré la parité aux élections dans toutes les communes de France – j’en parlais. Fiers d’avoir condamné à l’unanimité la terreur imposée à nos sœurs iraniennes.

Et cette fierté, nous l'avons aussi gravée dans la pierre de l'Assemblée. Pour offrir à nos filles des role models qui leur murmurent: « Ta place est ici, au cœur du pouvoir. »

C’est pour cela que nous avons installé à l'Assemblée nationale dix statues de femmes en or, dont celles de Simone de Beauvoir, de Gisèle Halimi ou de Simone Veil.  C’est pour cela qu'à l'Assemblée, Simone Veil a désormais son buste, Olympe de Gouges un bâtiment à son nom. C’est pour cela que j’ai réuni, en mars 2024, 25 présidentes d’Assemblées du monde entier. Pour le dire, haut et fort : la place des femmes est partout. Au sommet des entreprises comme des États.

**

 

Mesdames, Messieurs,

Oui, la dynamique est lancée. Oui, le plafond de verre est fissuré.

Mais il est encore là. Toujours là. On s'y heurte, on s'y cogne, et ça fait mal.

Alors, pour qu'il vole enfin en éclats, pour aller chercher cette égalité réelle, je vous le dis du haut de mon expérience : la loi peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout.

Oui, c'est la Présidente de l’Assemblée nationale qui vous l’affirme : n’attendez pas tout de la loi. N’attendez pas tout de l’État.

Beaucoup d’entre vous l’ont déjà fait ici : il faut prendre son risque. Il faut avoir de l’audace. Il faut oser. Oui, osez prendre votre place.

Alors à toutes celles qui hésitent, voici mon message : n’attendez pas qu'on vous laisse la place, prenez-la ! N'attendez pas qu'on vous donne la parole, prenez-la !

Il faut cesser de s'excuser d'être là. Osez prendre votre place, partout, celle que vous méritez.

Je suis bien placée pour le savoir. Quand j’ai été élue Présidente de la Commission des Lois en 2017, j’ai cru que le plafond de verre allait craquer. Mais aussitôt fusèrent des remarques de ce genre: « Mais comment pourra-t-elle présider la Commission des lois le mercredi, puisqu’elle a cinq enfants ? ».

En vérité, nous, les femmes, nous avons toujours deux fois plus à prouver. Nous subissons toutes ce double standard. Quand un homme hausse le ton, c'est de l'autorité.  Quand c'est une femme, c'est de l'hystérie. Quand un homme est ambitieux, c'est un stratège. Quand c'est une femme, c'est une intrigante, une Montespan.

Alors ensemble, répétons-le : Ça suffit. C'est fini

Pour ma part, je n’ai rien hérité, si ce n'est des valeurs et un brin d’audace. Le reste, je l’ai conquis, en faisant mienne cette phrase de Simone Veil : « Ma revendication en tant que femme, c’est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m’adapter au modèle masculin. »

 Ce sera mon message principal devant vous : on ne nait pas égale, on le devient. L’égalité, on l’arrache, on la conquiert de haute lutte, en osant prendre sa place.

Et puisque je viens de la paraphraser, je conclurai donc avec notre professeure rouennaise, Simone de Beauvoir, je la cite : « C'est par le travail que la femme a franchi la distance qui la séparait (de l'homme) ; c'est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète. »

Vous êtes, nous sommes cette liberté concrète. La parité n’est pas un cadeau, c’est un combat.   Et ce combat, nous allons le gagner. Pas dans 300 ans. Maintenant. Ensemble. Ça suffit. C'est fini. Nous ne voulons plus être « l'avenir de l'homme ». Nous voulons être le présent du monde.

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