Ouverture du colloque « Pour des Métropoles résilientes : Métropoles en transition cherchent trajectoires territoriales »

Jeudi 21 janvier

Hôtel  de Lassay
Seul le prononcé fait foi

Madame la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités, 
Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,
Mesdames et messieurs les présidents de métropole, 
Mesdames, messieurs,

C’est un honneur d’ouvrir ce colloque sur les Métropoles résilientes. 

Si je me souviens bien, les premières démarches que Sandra MARSAUD a entreprises pour la tenue de cet événement datent du tout début de l’année 2019. Je félicite ma collègue pour sa persévérance. Grâce à elle et aux équipes du ministère, ce colloque a finalement survécu à deux crises qui marqueront l’histoire de notre pays, le mouvement des « Gilets Jaunes » et la pandémie de Covid-19. 

Ces deux crises, je ne les mets bien sûr pas sur le même plan ! L’une et l’autre, toutefois, ont en commun d’avoir remis la géographie humaine au centre des savoirs utiles pour comprendre ce qui nous arrive. D’une manière presque ironique, ces deux crises ont failli empêcher la tenue de ce colloque, dont le thème nous donnera précisément des éclairages précieux sur elles.  

En effet, on pourrait considérer que la crise des Gilets Jaunes, comme la pandémie, renvoient à l’épineuse question de la circulation des hommes et des femmes. Dans un cas, nous avons entendu la contestation d’un accès injustement inégal aux services, à l’emploi ou à la délibération collective. Dans l’autre, nous avons épié — et d’ailleurs nous continuons de le faire — les déplacements des hommes et des femmes comme autant de vecteurs de contamination. Les dispositifs choisis pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ou la propagation du virus ont été mis en question avec beaucoup d’âpreté. En risquant de la perdre, nous avons pris la mesure de l’extraordinaire liberté fondamentale qu’est la simple liberté de se mouvoir, à l’intérieur de notre pays ou à travers le monde. 

Ces deux crises nous ont fait aussi mesurer à quel point cette circulation des hommes et des femmes résultait de causalités dont les constantes de temps sont très différentes.

Le confinement, pour combattre la pandémie, comme le projet de taxe carbone, contre les gaz à effet de serre, ont provoqué de nombreuses prises de conscience. Nos concitoyens se sont interrogés sur la distance entre leur logement et leur emploi, mais aussi sur l’agencement de leur logement et la forme de leur quartier. L’idée de rejoindre chaque matin une tour de bureaux n’est plus allée de soi, en Île-de-France, par exemple. 

Dans les deux cas, des lieux de socialisation ont été improvisés. Les logements, pendant le confinement, ont dû devenir lieux de travail et d’enseignement scolaire… La largeur des trottoirs, les espaces publics, ont été mis en question dès lors qu’il s’est agi de respecter la distanciation physique. 

Or, nous savons tous ici le temps qu’il faut pour transformer un immeuble de logement, pour changer la forme d’un quartier, ou les trajets domicile-travail. C’est une constante de temps d’au moins dix ans, parfois une génération, voire plus. 

Pour autant, nos formes urbaines ont été façonnées, depuis la fin du XIXe siècle, pour faciliter les mouvements. 

Avant même la généralisation de la voiture, l’urbanisme qui a façonné nos centres villes européens a voulu répondre aux problèmes de concentration des humains dans un espace limité, problèmes qui sont, dès le début, des problèmes de flux. 

Déplacements de marchandises et d’énergie, accès à l’air et à la lumière, évacuation des eaux et des déchets… Autant de défis dont les constantes de temps sont parfois inférieures à la journée. Problèmes logistiques anciens, mais ô combien d’actualité depuis mars dernier, à l’échelle du monde, de notre pays comme de chacun de nos territoires. 

Je ne voudrais pas en ajouter à ce tableau déjà complexe, mais je crains que nous n’ayons plus seulement à résoudre l’équation typique de l’urbaniste. Nous ne pouvons plus nous contenter d’articuler le stock et le flux, la pierre et le mouvement, le temps long de l’amortissement du foncier et le temps court des échanges quotidiens. 

Je crains en effet que les formes urbaines n’offrent plus le reflet de la société qu’elles abritent. Le calme ordonné des façades ou des pavillons, et même les cadences des voitures sur les routes, ne nous renseignent plus sur ce que pensent et font les hommes et les femmes. 

J’ai connu un temps où l’on était un citadin ou bien un banlieusard, ou encore un campagnard, de manière univoque, et pour la vie. Les sociétés locales se distinguaient nettement, se comprenaient à peine, et d’ailleurs enviaient peu le sort des autres.

Ces temps ont bien changé : les mouvements démographiques entre campagne, villes-centres et couronnes périurbaines se sont considérablement complexifiés.

Surtout, une nouvelle constante de temps s’impose chaque jour davantage : celle de l’instantanéité. Les sociétés locales semblent prises de vitesse par les groupes sociaux consolidés en quelques instants autour d’une protestation, d’une indignation, d’un scandale. L’appartenance à un lieu, à un territoire, se recoupe de mille autres appartenances, parfois longues et réfléchies, le plus souvent momentanées et émotionnelles. Le lieu où l’on habite n’est certainement plus la seule manière de se présenter, de parler, ni d’être reconnu. 

Nous assistons à un mouvement contradictoire d’homogénéisation culturelle mais aussi d’affirmation des différences. Jamais les Français n’ont partagé autant de références et jamais ils ne se sont sentis aussi différents les uns des autres. 

Cette fragmentation, cette accélération des revendications, posent un problème à notre démocratie qui, elle, reste scandée par le rythme lent des scrutins et structurée par la géographie, relativement stable, des différentes circonscriptions électorales.

Paradoxe des paradoxes : nos concitoyens, qui se plongent avec passion dans les innombrables polémiques en ligne, s’inquiètent maintenant des conséquences d’une telle polarisation. Nombreux sont ceux qui appellent à une reprise en main de notre destin collectif.

Or, c’est bien l’une des promesses de la décentralisation que de rendre le pouvoir aux Français, en tout cas de rapprocher d’eux les décisions portant sur la vie locale. 

Toutefois, « maîtriser son destin » veut-il dire « être seul maître chez soi » ? Outre-Manche, les pro-Brexit croyaient affirmer une évidence en clamant que les Britanniques « reprendraient le contrôle » en quittant l’Union. Mais nous constatons que la dépendance du Royaume-Uni n’a fait que croître. 

En France, le mouvement de décentralisation n’est pas exempt d’ambiguïté sur ce plan. La recherche d’un « périmètre pertinent » pour régler chaque problème lui est presque consubstantielle. Et les décentralisateurs n’ont pas toujours été échappé au fantasme du « jardin à la française », où chaque collectivité pourrait toute seule exercer ses compétences, sans dépendre de ses voisines ni des autres échelons. 

Pour utiliser des termes désuets, hégéliens pour tout dire, les décentralisateurs ont fait le choix de « la paisible coexistence de l’espace » plutôt que celui de « l’inquiet devenir dans la succession du temps ». 

Le législateur, pénétré par l’objectif de paix civile, a eu tendance à vouloir régler par avance tous les différends entre collectivités. Le principe de non-tutelle des unes aux autres figure même dans la Constitution. 

Mais si vous m’accordez que la décentralisation a pour objet la vie des humains dans leurs territoires, et non les statuts des collectivités, alors vous pourrez convenir que la recherche du « périmètre pertinent » est une chimère. Nous l’avons vu, les humains débordent toujours, et de plus en plus vite, de tout périmètre fixé par l’action publique. 

Vous me permettrez donc de mettre en question l’évidence selon laquelle une collectivité publique maîtrise d’autant mieux son destin qu’elle dispose de plus de prérogatives, dans les limites de son territoire. À cet égard, le législateur n’a pas hésité à en octroyer de nombreuses aux métropoles, notamment avec la loi d’affirmation des métropoles, dite MAPTAM, de janvier 2014.

Or, sur des flux aussi vitaux que l’alimentation, l’énergie, l’eau, les médicaments et les déchets, sans parler du tourisme ou des étudiants, les métropoles sont, à tout jamais, dépendantes de l’extérieur. 
Dès lors, pourquoi ne pas recommander aux décentralisateurs d’abandonner leur modèle de juxtaposition pacifique dans l’espace pour celui de la négociation ?

Si nous voulons faire face aux prochaines crises, je pense que nous devons miser sur les talents de diplomates des élus métropolitains, vis-à-vis des collectivités voisines. Négocier avec autrui, c’est le traiter d’égal à égal, c’est accepter de ne pas tout emporter, c’est connaître ses dépendances. Cela peut nourrir une forme contractuelle, comme à Brest. Cela exige en tout cas des qualités qui sont énumérées dans les différentes tables-rondes à venir : hospitalité, sobriété, coopération, complémentarité… 

Autant de thèmes de nature à inspirer le législateur, alors que le projet de loi 4D va bientôt lui être soumis. C’est donc de manière très intéressée que je vous souhaite des travaux très fructueux. 

Je vous remercie et je cède la parole à Mme la ministre Jacqueline GOURAULT.


 

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