Inauguration de la Salle du Jeu de Paume du château de Versailles

Mercredi 2 mars

Château de Versailles
Seul le prononcé fait foi

Madame la présidente de l’établissement public du château de Versailles, chère Catherine Pégard,
Monsieur le préfet, [Jean-Jacques Brot]
Messieurs les ministres, [les anciens ministres Jacques Toubon et Jacques Godfrain]
Mesdames et messieurs les députés, députés honoraires et anciens députés, chers collègues,
Monsieur le président du conseil départemental des Yvelines [Pierre Bédier]
Mesdames, messieurs,

Pour le Président de l’Assemblée nationale, c’est un honneur mêlé d’émotion que de pouvoir s’exprimer ici, à Versailles, en cette salle du Jeu de paume où tout a commencé.

C’est ici, en effet, qu’est véritablement née l’Assemblée nationale – une institution nouvelle, profondément révolutionnaire en ce qu’elle obligeait le roi à partager le pouvoir. Si le monarque continuait d’incarner la France, les élus du peuple représentaient la Nation. Une première dans l’histoire de notre pays, qui entrait ainsi dans la modernité démocratique.

Car les états généraux, sous l’Ancien Régime, n’étaient pas à proprement parler une assemblée parlementaire. Réunis très épisodiquement, sur un ordre du jour limité qui consistait surtout à créer des impôts nouveaux, ils ne pouvaient faire ombrage à l’arbitraire royal.

Ceux de 1789, pourtant, suscitaient des espoirs. Le tiers-état disposait cette fois d’autant d’élus que la noblesse et le clergé réunis ; on rêvait d’un vote par tête, et non par ordre, qui aurait mis la France sur la voie d’un parlementarisme à l’anglaise.

Mais ces velléités de réforme effrayaient la monarchie, la noblesse et le haut clergé.

Le 20 juin 1789, au matin, les députés du tiers-état qui viennent pour se réunir à Versailles trouvent portes closes. Leur salle a été fermée par décision du roi. Doivent-ils se disperser, renoncer à leurs idées ? Non, car une autre salle est disponible à proximité du château, une simple salle de sport dirions-nous aujourd’hui, où l’on jouait à la paume, ancêtre du tennis… Une partie endiablée va s’y jouer, pleine de rebonds, et aussi de revers.

Cette salle est gérée par des particuliers, le pouvoir royal n’a pas songé à la fermer ; un député inventif, un certain Guillotin, a eu l’idée de la réserver, au cas où… Car Guillotin, contrairement à ce que veut la légende, n’a pas mis au point la sinistre machine qui porte son nom ; mais c’est lui qui trouva le moyen de rassembler les députés du tiers, plus une poignée de prêtres libéraux et un noble de Saint-Domingue acquis aux idées nouvelles.

Et voici donc nos députés, sous la pluie, qui se pressent vers cette salle du Jeu de paume, pour une réunion décisive, historique, dont toutes nos séances parlementaires ne sont guère que le prolongement.

Je dois vous le confier d’ailleurs : après mon élection à la présidence de l’Assemblée nationale, l’une de mes premières visites fut celle de la bibliothèque du Palais-Bourbon où, dans une pièce forte, plus protégée encore que l’Armoire de fer de Louis XVI, est conservé le manuscrit original du Serment du Jeu de paume, autrement dit l’acte de naissance de l’Assemblée nationale.

La graphie même, fébrile, nerveuse, témoigne de l’intensité qui régnait ici alors que retentissaient ces phrases amples et solennelles que je me dois, que je vous dois, de citer aujourd’hui :
« L’Assemblée nationale, considérant qu’appelée à fixer la Constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’Elle ne continue ses délibérations dans quelque lieu qu’Elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin, partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale ;
« Arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront à l’instant serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides… »

Suivent les signatures, sur plusieurs pages : sans doute la plus somptueuse collection d’autographes qui soit, dans laquelle on discerne les paraphes de Mirabeau, Mounier, Target, Barrère, Boissy d’Anglas, Robespierre…

Parmi ces signataires, si je devais choisir, ce serait d’abord l’extraordinaire personnalité de Jean-Sylvain Bailly que je voudrais évoquer : un astronome réputé, qui fut aussi le premier à porter le beau titre de « président de l’Assemblée nationale » et fut le premier « maire de Paris ». Une statue, au Palais-Bourbon, perpétue la mémoire de cet orateur. Une autre statue, derrière moi, le représente en train de prêter serment et c’est donc sous les auspices de mon intimidant prédécesseur que je veux saluer le beau travail qui a été effectué ici, au service du patrimoine et de la mémoire.

J’ose à peine parler de « restauration », tant ce terme est chargé de connotations contre-révolutionnaires et monarchiques… 

Et pourtant, c’est celui qui s’impose, puisque cette salle historique retrouve aujourd’hui une nouvelle jeunesse, des couleurs pimpantes, une luminosité remarquable qui le mettent pleinement en valeur.

Je ne doute pas que de nombreux visiteurs viendront y éprouver, comme nous, le frisson de se trouver à l’épicentre du séisme révolutionnaire – là même où, il y aura bientôt 233 ans, le 20 juin 1789, un pouvoir législatif émerge pour la première fois. Trois jours plus tard, Mirabeau ne fera qu’en tirer les conséquences lorsqu’il opposera la volonté du peuple à la force des baïonnettes.

Le Serment du Jeu de paume aura aussi une postérité artistique, suscitant un grand nombre d’œuvres, dont deux majeures.

L’une est le bronze de Dalou, un haut-relief de quatre tonnes, enchâssé dans les murs du Palais-Bourbon : les députés l’admirent en entrant dans l’hémicycle.

L’autre œuvre est à Versailles, peinte par David. 

À vrai dire, il ne nous en a laissé qu’une esquisse, mais très belle et hautement symbolique puisqu’en son centre, parmi les élus du tiers-état, on distingue trois ralliés du clergé qui promettent la concorde religieuse : l’abbé Grégoire réunissant le moine chartreux Dom Gerle et le pasteur Rabault Saint-Étienne dans une fraternelle embrassade.

Les historiens sérieux objecteront que Don Gerle n’était pas présent le jour du Serment, puisqu’il ne vint siéger qu’en décembre 1789… Mais tout est symbole chez David, et nous ne saurions lui en vouloir d’avoir figuré, de manière visible et compréhensible par tous, l’idéal de tolérance religieuse.

Autre symbole de cette extraordinaire journée du 20 juin 1789 : Martin d’Auch, le député de Castelnaudary, l’unique élu du tiers-état qui désapprouva le Serment et refusa de désobéir au roi. David, puis Dalou, le représentèrent dans une attitude réprobatrice, pour mieux souligner que Bailly reconnut son droit à exprimer une opinion divergente. Dès le premier jour, vous le voyez, le président de l’Assemblée nationale veillait donc au respect des droits de l’opposition.

On comprend que, depuis l’acte fondateur de notre démocratie, la salle du Jeu de paume ait été l’objet de toutes les attentions. Si les régimes monarchiques et autoritaires la négligèrent, au point d’en faire parfois une remise ou un atelier, à quatre reprises elle fut reconnue comme un lieu de mémoire à valoriser

Ce mur, à ma gauche, en porte témoignage : en 1792, en 1848, puis en 1883 sous l’impulsion de Jules Ferry dont nous venons d’entendre le superbe discours, cette salle fut considérée comme un trésor national.

Madame la présidente de l’établissement public du château de Versailles, chère Catherine Pégard, j’ai une mauvaise nouvelle : ce mur qui vient d’être restauré devra bientôt être repeint, pour inclure dans la chronologie une quatrième date, cette journée du 2 mars 2022 qui consacre l’excellence du travail de réfection et de valorisation accompli par vos soins. Je rends hommage à sa qualité, ainsi qu’au talent des artisans auxquels vous avez fait appel.

L’Assemblée nationale aurait voulu contribuer financièrement à cette restauration. Elle n’en a pas le droit : une ordonnance du 17 novembre 1958, qui limite ses crédits budgétaires à ceux qui sont nécessaires à son fonctionnement, lui interdit toute subvention au financement de projets extérieurs. 

En revanche, rien n’empêche les députés, ni les anciens députés, de verser leur obole à une bonne cause   Celles et ceux qui l’ont fait ont ainsi renoué avec leurs grands ancêtres de 1789 et je les en félicite.

Enfin, chère Catherine Pégard, je vous remercie de votre invitation. Au moment où la législature se termine et où les députés s’apprêtent à retourner devant les électeurs, il est bon de revenir aux sources mêmes de notre démocratie, si chèrement acquise. 

Elle constitue un bien précieux entre tous, fragile, qui a besoin pour se perpétuer d’une bonne transmission de notre histoire.

Lieu d’éducation civique et de mémoire partagée, la salle du Jeu de paume y contribuera : je vous en remercie.

Vive le Serment du Jeu de paume, vive la République et vive la France.

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