Cérémonie de la 2e édition de remise du Prix Littéraire Gisèle Halimi

Lundi 18 novembre

Galerie des Fêtes
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Premier ministre,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Madame la Présidente du Conseil national des Barreaux,

Mesdames et messieurs les bâtonniers,

Madame la présidente du Prix Gisèle Halimi,

Cher Jean-Yves Halimi,

Chère Nadia Hai,

Mesdames et messieurs,

« La femme est donnée à l’homme pour qu’elle fasse des enfants. Elle est donc sa propriété comme l’arbre à fruits est celle du jardinier. »

Gisèle Halimi citait souvent cet extrait des travaux préparatoires du Code Civil napoléonien.

En ces quelques mots, elle décelait l’essence d’une oppression séculaire, celle d’une société construite par et pour les hommes, cantonnant les femmes à une soumission silencieuse.

« Être née femme », résumait Gisèle Halimi, « c’était une malédiction ». La malédiction d’un destin tracé à l’avance.

Un destin qu'elle refusa pour elle. Car à la stupéfaction de sa famille, elle choisit d’aller au terme de ses études de droit, ce qui était déjà briser bien des codes et bouleverser l’ordre établi.

C'est ainsi qu'elle put s’inscrire aux barreaux de Tunis, puis de Paris – et s’agissant du Barreau de Paris, c’est un point que nous avons d’ailleurs en commun dans nos parcours professionnels.

« Je suis une avocate irrespectueuse » : c’était ainsi que Maître Halimi se définissait, lorsqu’elle plaidait en portant cette robe que nous avons l’honneur d’exposer ce soir, avec son bureau et son fauteuil d’avocate.

Pourtant, ce n'était pas elle qui était « irrespectueuse », mais la société envers les femmes.

Une société qui les privait de la « liberté des libertés », celle de choisir de donner ou non la vie.

C'est ce droit aujourd'hui constitutionnel qu'elle défendit dans sa célèbre et célébrée plaidoirie à Bobigny, en 1972.

Maître Halimi y refusa de s’excuser au nom de sa cliente, Marie-Claire Chevalier, accusée d’avoir avorté.

« Regardez-vous et regardez-nous » lança-t-elle aux juges médusés. « Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes… Et pour parler de quoi ? De sondes, d’utérus, de ventres, de grossesses, et d’avortements !... »

Ce procès de Bobigny devint ainsi le procès de la loi sur l’avortement, préparant la voie, dans les prétoires, à une évolution législative.

Car deux années plus tard, Gisèle Halimi était ici, à l'Assemblée, le 26 novembre 1974, lorsque Simone Veil prononça, à quelques mètres de nous, dans l’hémicycle, son discours historique présentant sa loi sur l’IVG.

Nos archives ont conservé une photo émouvante : Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi côte à côte, dans les tribunes de l’hémicycle, regardant Simone Veil s’exprimer. Cette archive, parmi d’autres, sera exposée à partir du 26 novembre prochain, dans cette Galerie, à l’occasion du cinquantenaire de la loi Veil. Je vous invite donc tous à revenir ici dès la semaine prochaine.

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Gisèle Halimi, elle aussi, est passée et repassée par cette Galerie, comme députée de la Nation.

Il faut être honnête : son mandat de députée, de 1981 à 1984, qu'elle a décrit comme une « embellie perdue », n’a pas constitué ses années les plus heureuses.

« La politique n'a pas voulu de moi, et je le lui rendais bien » résumait-elle avec amertume. « Je pensais que la vraie politique, c’était le féminisme. »

Pourtant Gisèle Halimi fit bien de la « vraie politique » ici au Palais-Bourbon – en portant la cause des femmes au cœur de nos débats.

Et ce même avant son élection : car elle refusa d’être parachutée dans une circonscription parisienne tenue par une femme, Hélène Missoffe, ancienne secrétaire d'État auprès de la ministre Simone Veil. « De droite ou de gauche » expliqua-t-elle, « si le choix démocratique avait favorisé une femme, il fallait s’en réjouir et persévérer. »

Déjà, pour Gisèle Halimi, la politique féministe devait dépasser les clivages. Ce n’était pas pour elle une affaire de droite ou de gauche, mais de justice.

Au Palais-Bourbon, elle s’investit aussi pour que l’IVG fût remboursée par la sécurité sociale.

Sa proposition de loi fut d’abord enterrée et Le Monde titra même : « La députée de l’Isère va de déconvenues en déconvenues ».

Mais sa pression et celle des associations féministes portèrent leurs fruits : le 1er janvier 1983, fut ainsi publiée au Journal Officiel la loi Roudy remboursant l’IVG. C’était une belle résolution de début d’année.

Elle s’engagea aussi pour instaurer un quota de 25 % de femmes sur les listes des élections municipales.

La loi fut adoptée, mais censurée par le Conseil Constitutionnel. Il faut dire qu'à l’époque, l’article 3 de la Constitution ne disposait pas encore que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».

Et pourtant aujourd'hui, 25 ans après l’inscription de la parité dans la Constitution, seulement 2 maires sur 10 sont des femmes.

Je souhaite donc que nous parachevions cet engagement de Gisèle Halimi pour une parité réelle, en instaurant des quotas à toutes les élections locales. 

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Gisèle Halimi aimait aussi citer cette phrase de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère. »  

 

Faire vivre son héritage, c'est ainsi inscrire ses luttes dans le cœur même de nos lois, et même de notre loi suprême, la Constitution.

C'est ce que le Parlement réuni en Congrès vota le 4 mars 2024, en constitutionnalisant l’IVG, à une très large majorité.

Mais laissez-moi vous raconter le moment ayant précédé ce vote.

Un moment révélateur sur la place des femmes dans notre histoire – c'est-à-dire, dans l’ombre.

C’est ce que je ressentis puissamment à Versailles, en remontant l’allée des bustes du Congrès. Des bustes exclusivement masculins. Comme les juges du procès de Bobigny.

Quelques instants après, je devenais la première femme à présider un Congrès du Parlement, pour inscrire dans notre loi suprême un droit fondamental pour les femmes.   

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Ce droit à l’avortement, Gisèle Halimi l’a défendu avec une ardeur inlassable pour qu’il fût inscrit dans la loi, remboursé, étendu. Et sans doute avons-nous parachevé son œuvre, en l’inscrivant dans notre loi suprême.

Et en le protégeant ainsi des aléas politiques : car l’histoire récente le prouve, les régressions les plus terribles sont toujours possibles.

Je me souviens de ce que me disait Nancy Pelosi : nous pensions que tout retour en arrière sur l’avortement serait impossible. Et regardez où en sont aujourd'hui les femmes du Mississippi ou de l’Alabama, de dix autres États.  Nous pensons aux femmes américaines aujourd'hui inquiètes. 

Comme nous sommes en totale solidarité avec les femmes iraniennes et avec les femmes afghanes - pour qui Gisèle Halimi elle-même prit la plume.

Ses mots, écrits en novembre 2001, auraient pu l’être en novembre 2024 – et ils sonnent comme un terrible désaveu pour la communauté internationale. « Les femmes d'Afghanistan », écrivit Halimi en 2001, « déjà réduites à l'état de non-personnes, disparaissent de la scène internationale. Effacées du monde, réduites à l'état de fantômes. »

Pour ma part, je continuerai toujours à m’engager pour les femmes afghanes et iraniennes. Je ne les oublierai jamais, nous ne les oublierons jamais avec mes homologues Présidentes d’Assemblée, que j’avais réunies ici même en mars dernier pour le premier Sommet des Présidentes d’Assemblée.

Poursuivre l’engagement de Maître Halimi, c'est enfin redonner aux femmes toute leur juste place dans l’histoire comme dans notre espace public.

C'est ce qui m’a portée à inaugurer, au cœur de la représentation nationale, la statue en or de Gisèle Halimi que vous avez peut-être pu déjà admirer. Je vous invite à aller la revoir, avec nos 9 autres statues de femmes en or, dont celles de nos deux Simone, Veil et de Beauvoir.

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Mesdames et messieurs,

La « cause des femmes », comme l’appelait Gisèle Halimi, est toujours à défendre - car toujours fragile.

Alors je vous remercie de faire vivre cette cause, à travers ce Prix qui récompensera une plume d’un immense talent et qui porte la cause des femmes en sa chair.

Merci à la Présidente du Prix, Maître Samia Maktouf, et aux membres du Jury. Merci à tous nos invités, et notamment aux jeunes venus de mon département des Yvelines – le nôtre, chère Nadia Hai – ou de Tunisie, et qui nous liront des lettres de Gisèle Halimi.

À toutes celles qui jugent que la lutte pour l’égalité est épuisante et interminable, n’oubliez jamais ces mots de Gisèle Halimi : « Quand on me dit : « qu’est-ce que vous diriez aux femmes aujourd’hui ? », je réponds : « ne vous résignez jamais ! ».

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