Remise des Prix de thèse 2023 de l’Assemblée nationale

Jeudi 23 novembre

Galerie des Fêtes
Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les députés, monsieur le sénateur,

Monsieur le Secrétaire général et Madame la Secrétaire générale, 

Mesdames et messieurs les professeurs,

Messieurs les lauréats, 

Mesdames, messieurs,

C’est d’abord un anniversaire qui nous réunit, puisque le prix de thèse de l’Assemblée nationale fête cette année ses vingt ans. Créé en 2003, il a permis de distinguer, par un prix, un prix spécial, ou encore une mention spéciale, pas moins de 50 thèses.

En 2018, le Bureau de l’Assemblée nationale a choisi de le dédoubler, avec un prix en droit parlementaire et un autre en histoire de l’institution parlementaire. Ceux-ci sont décernés par deux jurys distincts, lesquels sont paritaires dans leur composition universitaire, avec 5 femmes et 5 hommes à effectif complet. C’est donc paritairement et en toute connaissance de cause que, cette année, les deux jurys ont choisi de récompenser des chercheurs masculins : on voit là toute la différence entre parité et quotas…

Ces prix sont toujours un hommage à des travaux remarquables et un témoignage de reconnaissance envers celles et ceux qui, dans les Universités, dans les Instituts d’études politiques, dans les centres de recherche et dans les écoles doctorales, mènent une réflexion de fond sur le Parlement et ses fonctions. Sa force est essentielle à l’équilibre de nos démocraties libérales.

Réfléchir à l’évolution des procédures, au lien entre l’élu et le citoyen, comme aux mutations de la représentation démocratique, est pour nous stratégique, à l’heure du numérique et des réseaux sociaux. L’actualité parlementaire nous le rappelle : ni les institutions, ni leur fonctionnement, ni le contexte ne sont figés.

C’est ainsi que les prix de thèse constituent un lien et un outil de coopération entre l’Assemblée nationale et le monde universitaire. 

D’un point de vue pratique, ils permettent aux lauréats de bénéficier d’une aide à la publication, versée à l’éditeur de leur choix. 

L’objectif est de diffuser et de faire connaître des ouvrages de référence dont il serait regrettable qu’ils restent confidentiels. Il est aussi d’encourager les chercheurs à se lancer dans les études sur les assemblées parlementaires. 

Pour bien des lauréats, le prix de thèse est aussi l’amorce d’une brillante carrière universitaire. En témoigne aujourd’hui la présence parmi nous aujourd’hui d’anciens lauréats, que je salue.

Cette année, les jurys ont attribué les deux prix de thèse, et le jury d’histoire parlementaire a distingué deux thèses supplémentaires par un prix spécial. 

Je rappelle que le prix spécial n’est pas assorti d’une aide à la publication, mais que c’est un signe du très grand intérêt des travaux ainsi reconnus. 

Parmi les thèses, qu’il a été, comme toujours, difficile de départager, les deux jurys en ont donc distingué quatre.

Ainsi, le 10 mai 2023, le prix en droit parlementaire a été attribué à M. Louis TERRACOL pour sa thèse en histoire du droit, intitulée : Le gouvernement fait de la Révolution à la Libération – Un expédient saisi par le droit, dirigée par M. le Professeur François SAINT-BONNET, et soutenue le 14 décembre 2022, à l’Université de Paris Panthéon Assas.

Le 28 mars 2023, le prix d’histoire de l’institution parlementaire a été décerné à M. Maxime LAUNAY, pour sa thèse en histoire contemporaine intitulée Une armée nouvelle ? la gauche et l’armée française (1968-1985). Antimilitarisme, libertés publiques et défense nationale, dirigée par M. le Professeur Olivier DARD, et soutenue le 9 décembre 2022, à Sorbonne Université ; 

–    ensuite un prix spécial en histoire parlementaire a été attribué à M. Stéphane EINRICK, au titre de sa thèse en histoire, sur Jean de Bertier (1877-1926). Des confins de la Lorraine aux ors de la république. Parcours d’un aristocrate à la croisée du militaire, du politique et de l’économique, dirigée par M. le Professeur François AUDIGIER, soutenue le 28 novembre 2022, à l’Université de Lorraine ; 

–    et un autre prix spécial, également en histoire parlementaire, a été décerné à M. Frantz LAURENT, au titre de sa thèse en histoire contemporaine, sur Charlemagne-Émile de Maupas (1818-1888) – Étude d’une trajectoire administrative, politique et nobiliaire, des monarchies censitaires à la Troisième République, dirigée par M. le Professeur Éric ANCEAU, soutenue le 3 décembre 2022, à Sorbonne Université.

Louis TERRACOL, la lecture de votre thèse est un voyage intellectuel dans les profondeurs du droit constitutionnel. Le Gouvernement de fait, ou l’autorité de fait, sans titre constitutionnel, est originellement, comme vous l’indiquez, un expédient pour répondre aux nécessité de l’urgence. Vous montrez comment il prend des actes qui s’intègrent, ou non, dans l’État de droit. Vous nous faites ainsi naviguer avec clarté, précision et habileté entre les notions fondamentales que sont la légitimité, la légalité, la nécessité, l’effectivité et la continuité de l’État. Vous mettez en évidence les ressorts du consentement entre deux régimes constitutionnels. 

Votre thèse présente l’intérêt de n’être pas seulement théorique, mais de s’appuyer sur notre riche histoire constitutionnelle. Vous analysez avec perspicacité ses nombreuses transitions d’un régime à l’autre, entre monarchie, empire et république. Vous traitez avec brio la question de la concomitance entre la France de Londres puis d’Alger, forte de la légitimité républicaine, et l’autorité de fait du régime de Philippe Pétain, dont la situation sera réglée par l’ordonnance du 9 août 1944 rétablissant la légalité républicaine sur le territoire métropolitain.

C’est un plaisir de suivre avec vous comment la notion de gouvernement de fait a évolué. Au départ utilisée par les contre-révolutionnaires pour désigner les régimes de ce qu’ils appelaient « l’usurpation », elle change et se précise après 1830. Le Gouvernement de droit n’est plus la seule monarchie des Bourbons. La notion de Gouvernement de fait prend corps, grâce aux magistrats, à l’occasion de décisions de justice, mais aussi grâce aux parlementaires, jusque dans les débats. Vous analysez très bien le rôle des députés dans les périodes-clefs que sont la monarchie de Juillet, la Deuxième République et les débuts de la Troisième République. 

Je suis donc très heureuse de vous remettre votre prix.
[Remise du prix]

***

Maxime Launay, votre thèse sur la gauche et l’armée française méritait d’être distinguée pour ses qualités propres. Par une heureuse coïncidence de calendrier, elle l’est en outre l’année où nous avons, nous parlementaires, voté la loi de programmation militaire 2024-2030. 

Vous nous rappelez que la défense nationale fait maintenant consensus, ce qui n’était pas le cas dans les premières décennies de la Ve République. Vous nous conduisez brillamment, avec rigueur et précision, dans la construction de ce consensus.

Au départ en effet, les positions de la gauche étaient très différentes de celles du gaullisme et de la droite. Malgré le souvenir de L’Armée nouvelle de Jaurès, la gauche est très éloignée du monde militaire. L’armée représente l’ordre et incarne une tradition conservatrice. Outre la mémoire de la Commune, pour certains, il y avait les brisures de la guerre d’Algérie, Mai 1958, le putsch d’Alger en avril 1961, et Mai 68. En outre, la dissuasion nucléaire était contestée.

Vous montrez comment, petit à petit, les partis de la gauche parlementaire trouvent dans les années 1970 l’équilibre entre les contestations antimilitaristes qui redoublent avant de s’étioler et les aspirations des militaires eux-mêmes à surmonter leur malaise : nous assistons tout à la fois à une transformation de l’institution militaire et à la volonté de la gauche de s’affirmer comme pleinement crédible et responsable en matière de sécurité. Vous nous guidez avec aisance dans les arcanes du ralliement à la dissuasion nucléaire. Vous nous montrez comment l’expertise et la constitution d’un réseau de personnalités compétentes ont joué un rôle-clef. Vous rendez hommage au rôle décisif de certaines personnalités, Jean Kanapa pour le Parti communiste, et des parlementaires, notamment Charles Hernu et Jean-Pierre Chevènement qui préparent le terrain pour François Mitterrand au sein du Parti socialiste.

La mobilisation contre l’extension du camp du Larzac, la lutte pour le droit d’association et la reconnaissance d’une certaine liberté d’expression des militaires, nous rappellent aussi quelques souvenirs.

Je suis donc heureuse de vous remettre votre médaille.
[Remise du prix]

***

Stéphane Einrick, votre thèse sur Jean de Bertier est non seulement un excellent travail, fondé sur l’exploitation des archives privées d’une famille solidement implantée en Lorraine, mais aussi une approche remarquable de la manière dont certains membres des anciennes élites aristocratiques se sont adaptées à la République, alors dominée par les « nouvelles couches » annoncées par Gambetta.

Loin de la « fin des notables » retracée par Daniel Halévy, nous trouvons en Jean de Bertier un aristocrate conscient du rang de sa famille, qui prend soin de son important patrimoine foncier mais aussi industriel, dans la très prospère sidérurgie de Lorraine et du Luxembourg. 

Jean de Bertier mène aussi les trois carrières publiques qu’un homme de son milieu pouvait exercer dans la République sans déchoir : le saint-cyrien choisit la cavalerie, l’arme noble par excellence, puis pratique la diplomatie, d’abord comme attaché militaire à Washington en 1913, puis pendant la Première guerre mondiale comme officier de liaison et, ensuite, comme membre de la mission militaire auprès du War office à Londres.

Après la guerre, Jean de Bertier s’engage en politique dans cette Lorraine mosellane à nouveau française : l’échec d’une tentative de candidature aux législatives de 1919 en Moselle, puis aux sénatoriales de janvier 1920, est cependant compensé par sa victoire aux municipales, dans sa commune de Manom, puis aux cantonales de décembre 1919. Ensuite, grâce à son important travail de réseau, il conquiert un siège de sénateur à l’élection partielle de février 1922, à la suite du décès du chanoine Collin, qui l’avait d’ailleurs entravé dans son parcours aux législatives.

Vous pointez de manière remarquable comment Jean de Bertier est l’illustration du parfait notable, confortablement réélu par ses concitoyens. 

C’est peut-être parce que, sans être un républicain d’origine ni même un républicain convaincu, il pratique la République : contrairement à beaucoup de personnalités de son milieu, il ne quitte pas l’armée en 1905 lors de la séparation des Églises et de l’État ; sur la question religieuse en Alsace-Moselle, après-guerre, il se tient à l’écart des militants actifs pour le maintien du Concordat et du régime de l’enseignement ; enfin, en 1945, la commune de Manom aura pour maire sa fille Sylvie, preuve qu’elle n’a pas été uniquement élevée, comme trop souvent alors, en vue d’un beau mariage.

Ce travail méritait un prix spécial, que j’ai le plaisir de vous remettre.
[Remise du prix]

***

Frantz Laurent, enfin, votre thèse sur Charlemagne-Émile de Maupas est remarquable, et le Sénat lui a d’ailleurs accordé cette année son prix de thèse. C’est bien la qualité de vos travaux que nous primons, et non le personnage étudié. 

Car, je le dis d’emblée, Maupas ne peut recueillir de notre part aucun laurier. Il a fait un tort considérable à la République et à l’institution parlementaire : Préfet de police du coup d’État du 2 décembre 1851, c’est lui qui fait procéder aux arrestations préventives. C’est lui qui fait expulser les parlementaires du Palais-Bourbon. C’est lui qui les empêche de poursuivre leur réunion, lorsque près de 220 d’entre eux, rassemblés dans la mairie du Xe arrondissement d’alors, prononcent la déchéance et la mise en accusation du président de la République auteur du coup d’État, le futur Napoléon III. C’est lui qui empêche les travaux de la Haute Cour pour éviter qu’elle ne le condamne pour haute trahison.

Le grand intérêt de votre thèse, c’est de nous montrer la complexité d’un personnage qui n’est pas dénué de talents, dont les moteurs sont l’ambition sociale et le ressentiment, mais qui a aussi le sens de l’État et du bien commun.

Maupas est un fils de cette bourgeoisie montante, fortunée, qui accède aux responsabilités à la faveur de la monarchie de Juillet puis du Second Empire. L’ambitieux s’adjoint une particule très tôt, aussi fasciné par la noblesse qu’un héros de Balzac. Il débute dans les années 1840 une carrière de sous-préfet, mais celle-ci est stoppée net en 1848.

Tenace, il se remet en selle à la faveur de la victoire du parti de l’Ordre, et retrouvant la préfectorale, se rapproche du Prince-Président, le futur Napoléon III. Sa réussite comme préfet à Toulouse, lui vaut d’être nommé préfet de Police en septembre 1851. Exécuteur des basses œuvres qui assure le succès du coup d’État, il reste ensuite l’homme de la surveillance et de la suspicion. Réussissant à merveille, il est promu ministre de la Police générale en janvier 1852. Mais, surveillant également l’entourage proche de Napoléon III, notamment le duc de Morny, mon prédécesseur à la présidence du Corps législatif, il devient le « mal aimé du Gouvernement » et provoque sa disgrâce.

Ce héros romanesque poursuit toutefois sa carrière, militant à la fin pour une évolution parlementaire et libérale de l’Empire, mais il est emporté par la chute de Napoléon III en septembre 1870 et ne parviendra pas à se relever sous la IIIe République.

En définitive, Frantz Laurent, vous nous offrez la lecture d’un roman politique et social passionnant, dont la trame nous tient en alerte.

Ce prix spécial vous revient à bon droit.
[Remise du prix]

***

Messieurs les Lauréats, nous lirons vos ouvrages avec le plus grand intérêt et vous en souhaitons une publication rapide.

Pour terminer, je veux vous témoigner à tous les quatre, ainsi qu’aux universitaires qui vous ont dirigés dans vos travaux, vous ont lus et vous ont distingués, toute notre gratitude pour participer ainsi au rayonnement de la vie parlementaire, et à la réflexion sur l’institution qui émane directement du peuple souverain dans toutes ses composantes et toute sa diversité. L’histoire habite cette maison et se continue ici au présent, chaque jour.

Je vous remercie.

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