Maison des enfants d’Izieu

Vendredi 3 février

Seul le prononcé fait foi

Madame la Préfète,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames et messieurs les élus,

Mesdames et messieurs les officiers,

Mesdames et messieurs les porte-drapeaux,

Mesdames, messieurs, 

Il y a un peu plus de quarante ans, le 25 janvier 1983, un certain Klaus Altmann était arrêté en Bolivie. Klaus Altmann, de son vrai nom Klaus Barbie, dit « le Boucher de Lyon », recherché par les Français depuis 1945.

Il y aura bientôt quarante ans, le 5 février 1983, Klaus Barbie revenait en France pour y être jugé. Symboliquement, il était conduit à Lyon, à la prison Montluc, de sinistre mémoire. Selon les mots du garde des Sceaux de l’époque, Robert Badinter, « quarante ans après ses crimes, c’est à Montluc que Barbie devait passer la nuit, seul dans une cellule avec les ombres des êtres qu’il avait martyrisés ».

Et ils étaient nombreux, ces fantômes du passé : résistants et Français libres, communistes et gaullistes, juifs français, juifs étrangers, hommes, femmes et enfants… Car la barbarie nazie frappait indistinctement, impitoyablement, et parmi ces ombres, dans leur innocence profanée, étaient les 44 enfants d’Izieu.

Ici même, dans cette maison entourée de verdure, perchée au-dessus du Rhône, loin de la folie du monde, ils avaient cru trouver un refuge. Sous la conduite de Sabine Zlatin, infirmière de la Croix-Rouge, ils avaient fui les rafles de Montpellier. Sous couvert d’une colonie d’enfants réfugiés de l’Hérault, ils vivaient au grand air, ils pouvaient espérer.
Heureux, non, sans doute ils ne l’étaient pas, eux qui se trouvaient privés de leurs parents et de leurs proches, cachaient leur nom, vivaient éloignés de leur foyer dans un monde en guerre dont l’inquiétante rumeur leur parvenait atténuée ; mais enfin, ici ils avaient un havre, un îlot de douceur et de paix, un petit domaine où leurs yeux d’enfants pouvaient s’éveiller à la vie.

Or, ce fut la mort qui survint, le 6 avril 1944. Par une belle journée de printemps qui marquait le début des vacances scolaires, soudain les voitures, les camions cernèrent la maison. Klaus Barbie et ses hommes, sanglés dans leurs tenues noires, s’emparèrent de cette forteresse pacifique, arrêtant sept éducateurs désarmés ainsi que 44 gamins inoffensifs, saisis au réfectoire, au milieu de leur repas. Quelle prise, quelle grande victoire pour le Troisième Reich !...

Un jeune garçon, alerté par sa sœur, a eu le temps de sauter par la fenêtre. Tapi dans les buissons, il entend les cris, les pleurs, les moteurs qui s’éloignent. Puis c’est le silence atroce de l’après : le nid est vide, les prédateurs ont tout emporté, la désolation règne.

Car tel est le pouvoir de la haine : transformer des enfants en cibles, exterminer des êtres humains, au nom d’une idéologie folle qui parvient à abolir tout discernement, toute pensée comme tout sentiment. La haine qui détruit, qui déshumanise : celle de l’assassin bien sûr, mais aussi la haine froide du complice et du délateur, la haine passive qui encourage et soutient la haine meurtrière.

Oui, en 1944, il y eut quelqu’un pour aviser la Gestapo de Lyon que des enfants juifs vivaient impunément ici, à Izieu, et qu’il serait simple de les y rafler. Il y eut un esprit suffisamment ignoble et malsain pour considérer comme des proies des gosses de six à douze ans. 

Malgré le procès Barbie, le nom du dénonciateur ne fut pas établi avec certitude. Honte à lui, honte à ceux qui, sur ses indications, perpétrèrent ce crime abominable. 

Sabine Zlatin, en déplacement ce jour-là, parce qu’elle cherchait un nouveau lieu pour mettre à l’abri les enfants, échappa quant à elle à la rafle. Elle vécut, elle survécut, dans la douleur inexprimable de l’absence : les enfants dont elle s’était chargée, son mari Miron Zlatin, ses amis d’Izieu, tous avaient péri loin d’elle, sans qu’elle puisse leur porter ni secours, ni réconfort.

Alors, la paix revenue, Sabine Zlatin s’est dévouée encore, à la mémoire des victimes. Pour qu’on n’oublie pas, pour qu’on n’occulte pas ce qui s’est passé ici et qui résume, dans son ignominie, les persécutions antisémites du nazisme et du pétainisme.

Grâce à Sabine Zlatin, grâce à son travail de mémoire, les enfants d’Izieu ne sont pas seulement des victimes, mais aussi des témoins. Leur présence est sensible ici ; leur muet reproche nous met en garde, au moment où, partout en Europe, et en France même, les vieux démons du nationalisme et de l’antisémitisme osent rôder de nouveau sur les terres qu’ils ont autrefois ravagées.

Oui, pensons toujours aux enfants d’Izieu. Pensons à leur terreur, à leur souffrance, songeons aussi à leur désespoir quand des adultes censément responsables décidèrent de les précipiter dans l’horreur concentrationnaire. Ce que ces enfants ressentirent à la prison Montluc, puis dans le convoi, ce qu’ils subirent au seuil de la mort, va au-delà de ce qui peut être formulé. 

Les larmes qu’ils ont versées ne sécheront pas. À jamais leur martyre sera connu, enseigné ; à jamais leur histoire sera transmise, pour qu’elle ne se répète pas. 

Cette maison est aujourd’hui un mémorial, le plus visité du département. En tant que présidente de l’Assemblée nationale, j’ai tenu à venir ici, car en réalité c’était mon devoir. Les débats et péripéties de la vie politique ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel : la démocratie est précieuse, le respect des droits de l’Homme doit rester un absolu, qui seul nous préserve des plus affreuses dérives.

Car ne nous y trompons pas : l’antisémitisme et la haine n’appartiennent pas seulement à l’Histoire, ils restent tragiquement d’actualité en France et dans le reste du monde. À Jérusalem, une synagogue ne vient-elle pas d’être attaquée, le jour anniversaire de la libération d’Auschwitz ? Et tout près de nous, à Lyon,n’a-t-on pas vu apparaître d’odieux autocollants à la gloire de Klaus Barbie ? En 2021, en, France, on recensait encore 7 721 affaires à caractère raciste, antisémite ou xénophobe ayant eu des suites judiciaires. Et pas moins de 1 382 condamnations ont été prononcées soit 45 % de plus que l’année précédente.

La vigilance s’impose donc. Dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, je ne laisserai jamais passer une attaque ni même une allusion teintées d’antisémitisme. Dans la société, la réplique judiciaire doit aller de pair avec tout un travail de mémoire, d’éducation, pour que les Français apprennent à vivre ensemble dans le respect de leur diversité culturelle et religieuse. 

C’est pour y contribuer que, depuis mon élection, j’ai multiplié les déplacements hors du Palais-Bourbon : de Valmy à Saint-Laurent-du-Maroni en passant par Rodez et Izieu aujourd’hui, je veux dire à la France qu’elle est le solide alliage d’une multitude d’apports. Et pour la libérer du nazisme, le Guyanais Félix Éboué, le réfugié arménien Manouchian, les combattants de toutes origines et confessions ont œuvré à une même victoire : celle de la démocratie sur le totalitarisme assassin.

Enfants d’Izieu, nous vous devons ce moment de souvenir et de recueillement. Pour ma part, je pense à ma grand-mère qui avait dû quitter l’Allemagne et se réfugier en France après l’arrivée au pouvoir de Hitler. Je pense à mon grand-père, réfugié polonais devenu résistant. Ils auraient aimé Sabine Zlatin et sa colonie d’enfants. Ils m’ont transmis l’amour de la République et des valeurs démocratiques, et c’est au nom de toutes les victimes des persécutions antisémites que je veux dire ici : plus jamais !

Comme le déclara une grande résistante, Lucie Aubrac, qui elle aussi incarna le travail de mémoire, « le mot résister doit toujours se conjuguer au présent ». Résistons aux préjugés, aux slogans simplistes, aux discours xénophobes et antisémites, opposons-leur la raison et le souvenir : ainsi serons-nous dignes des 44 petits martyrs d’Izieu à qui j’ai tenu à rendre hommage, au nom de la Représentation nationale. 

Je vous remercie.


 

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