Conférence européenne des Présidents de Parlement : « Notre maison commune européenne, les 70 prochaines années »

Jeudi 24 octobre

Conseil de l’Europe, Strasbourg
Seul le prononcé fait foi

 

Madame la Présidente,
Madame la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe,
Chers collègues Présidentes et Présidents d’assemblée parlementaire des États-membres du Conseil de l’Europe,
Mesdames, messieurs,

Montesquieu a écrit que « L'Europe n'est plus qu'une nation composée de plusieurs ». Le Conseil de l’Europe est ce lieu unique, irremplaçable, où toutes ces « nations », qu’elles appartiennent ou non à l’Union européenne, peuvent se rencontrer, dialoguer, pour mieux se connaître et mieux se comprendre.

C’est pourquoi je suis heureux de prendre part avec vous à cette conférence des Présidents de Parlement des États-membres du Conseil de l’Europe, dans cette ville hautement symbolique qu’est Strasbourg.

Cette rencontre nous procure une occasion unique de réaffirmer notre conviction commune en faveur d’une coopération accrue entre nos assemblées parlementaires, pour des échanges d’informations et de bonnes pratiques certes, mais aussi pour des actions concrètes.

Ouvrir le premier volet de cette conférence est, en toute sincérité, un véritable honneur mais également un redoutable défi.

Un honneur car, à l’image de l’ensemble des autorités françaises, au premier rang desquelles M. le Président de la République, j’accorde beaucoup d’importance au Conseil de l’Europe, cette organisation internationale qui a jeté les bases d’un continent en paix, profondément humaniste, au sein duquel les droits individuels, la démocratie et l’État de droit ne sont pas des concepts abstraits, mais des exigences.

C’est aussi un défi pour le moins ambitieux, parce qu’il pourrait paraître présomptueux de prétendre esquisser ce que sera l’avenir du Conseil de l’Europe durant les 70 prochaines années.

Le célèbre discours de sir Winston Churchill appelant à la création des « États-Unis d’Europe », prononcé à l’université de Zurich le 19 septembre 1946, est souvent cité comme le premier pas vers la constitution du Conseil de l’Europe. Indéniablement, il fut à l’origine du Congrès de La Haye de 1948, en faveur de l’unification européenne, puis de la signature du Traité de Londres et de l’installation, le 5 mai 1949, de cette organisation à Strasbourg. Il s’agissait alors de la première organisation européenne ayant pour objectif officiel, selon ses statuts, « de réaliser une union plus étroite entre ses membres ».

L’histoire du Conseil de l’Europe commence dans un contexte de guerre froide, mais elle s’insère aussi dans un processus de foisonnement institutionnel sur notre continent. Créé en même temps que l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), le Conseil de l’Europe a joué un rôle primordial dans la protection des droits fondamentaux des citoyens, ainsi que dans l’unification et l’intégration du continent.

Je ne citerai que quelques-unes de ses réalisations : l’éradication de la peine de mort sur quasiment tout le territoire européen, le recul de la torture, l’amélioration des conditions pénitentiaires, la lutte contre la corruption.

Si le Conseil de l’Europe est très marqué par la relation qui s’est établie avec ce qui deviendra l’Union européenne, il a toutefois sa propre identité et ses domaines d’intervention privilégiés. Il a connu des moments forts, et des crises aussi.

Trois grandes périodes ont marqué ses 70 ans d’existence : celle de sa mise en place, de 1948 à 1969 ; celle de la recherche d’une nouvelle identité, de 1969 jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989 ; enfin, celle de son élargissement et de son affirmation comme organisation paneuropéenne, avec l’accueil des pays d’Europe centrale et orientale et de pays européens issus de l’ancienne Union soviétique. Désormais, l’idée d’une « maison commune européenne », évoquée en ces lieux mêmes par Mikhaïl Gorbatchev dans un discours prononcé en juillet 1989, est devenue réalité.

Tout au long de son existence, le Conseil de l’Europe a montré ses capacités d’adaptation et d’innovation. Il a accompagné les vagues d’élargissement en mettant en place de nouveaux outils et de nouvelles techniques d’assistance à destination des pays concernés : j’en veux pour preuve, notamment, les programmes d’aide et la Commission de Venise, à partir de 1990, ainsi que la mise en place d’une procédure de suivi des obligations en matière de droits de l’Homme (dite monitoring) pour veiller au respect des engagements des États-membres, en 1994.

De même, des changements institutionnels majeurs ont-ils été décidés lors de plusieurs sommets des chefs d’État et de gouvernement.

Le sommet de Vienne, en 1993, a ainsi donné l’impulsion à la création d’une Cour unique des droits de l’Homme, et à la mise en place d’un Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Le sommet de Strasbourg, en 1997, a lancé l’idée d’un Commissaire européen aux droits de l’Homme, tandis que le sommet de Varsovie, en 2005, a amorcé la conclusion d’un mémorandum d’accord avec l’Union européenne.

Mais je voudrais surtout souligner que le Conseil de l’Europe a servi de creuset à une coopération intergouvernementale apportant des réponses concrètes aux problèmes et aux menaces qui touchent nos sociétés modernes.

Ont ainsi vu le jour, grâce au dialogue entre les États-membres, les parlementaires et les experts, des conventions en matière de biomédecine en 1997, sur la cybercriminalité en 2001, sur la prévention et la lutte contre le terrorisme en 2005 et 2007, ou encore sur la lutte contre les violences faites aux femmes en 2011 et contre le trafic d’organes humains en 2015.

Ce rappel ne serait pas exhaustif sans une mention spéciale concernant la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que son organe d’application et instrument d’effectivité des règles, la Cour européenne des droits de l’Homme. Particulièrement appréciée par l’ensemble de nos concitoyens, celle-ci s’est imposée comme une juridiction internationale de référence, dont les États-membres doivent nécessairement tenir compte.

Parachèvement de l’édifice, le protocole n° 16 à la convention européenne des droits de l’Homme offre à présent la possibilité aux cours nationales suprêmes de consulter la Cour de Strasbourg sur toute question susceptible de faire l’objet d’un contentieux ultérieur devant elle. À l’évidence, c’est une avancée majeure et je trouve heureux que la France ait permis, par sa ratification le 12 avril 2018, son entrée en vigueur. De même, je me félicite que les juridictions françaises aient utilisé ce nouvel instrument dès le 5 octobre 2018.

Nous sommes donc bien loin du temps où le général de Gaulle parlait du Conseil de l’Europe comme d’une organisation « qui dort au bord du Rhin » ! Au contraire, elle est aussi active qu’inventive et c’est pourquoi la France est fière de voir coïncider avec sa présidence du Comité des Ministres ce 70e anniversaire de la création du Conseil de l’Europe : c’est l’occasion, pour les représentants des Parlements nationaux que nous sommes, de formuler des réflexions pour l’avenir.

Si l’art de la prospective est toujours délicat, je crois malgré tout que le Conseil de l’Europe continuera d’apporter sa contribution à la défense des valeurs humanistes et démocratiques sur notre continent pour les décennies à venir.

Sous quelles formes, avec quels objectifs et dans quel but ? Telles sont, me semble-t-il, les questions qui nous sont posées aujourd’hui.

À mon sens, le Conseil de l’Europe porte en lui les ambitions de la construction européenne originelle. Ce qui confère la primauté à la valeur de l’Homme dans la société, ce qui affirme sa place, c’est une philosophie politique et un ensemble de règles juridiques élaborées, entretenues, défendues et perfectionnées, entre autres, par le Conseil de l’Europe, qui le premier a affiché cette ambition. À cet égard, une adhésion de l’Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aurait tout son sens.

La primauté de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’Homme repose sur un socle de valeurs et de principes juridiques extraordinairement fragile. Nous le savons tous, la mise en œuvre de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est parfois difficile.

Un socle fragile, certes, mais ô combien précieux si l’on en juge par l’effet d’attraction qu’il exerce sur bien des pays qui se trouvent en lisière de notre continent. Que l’on songe au Maroc ou à la Jordanie, par exemple, qui ont reçu le statut de partenaires pour la démocratie. Ils aspirent à une convergence avec les standards du Conseil de l’Europe et, à bien des égards, ils démontrent que l’idéal sous-jacent à la fondation de cette Organisation reste très actuel.

Dès lors, le Conseil de l’Europe doit-il s’affirmer à l’avenir comme une « école de la démocratie » ou plutôt comme un « club de démocraties » ?

L’élargissement postérieur à la chute du mur de Berlin et le choix de conventions ouvertes – à la carte – à la ratification des États-membres, font plutôt pencher en faveur d’un espace de dialogue constructif et incitatif.

Les idéaux des droits de l’Homme et de l’État de droit, vers lequel doivent tendre les États-membres, demeurent un levier d’action puissant à l’égard de pays dont la transition démocratique est encore récente.

L’histoire nous enseigne en effet que le pluralisme, l’État de droit et les libertés individuelles ou collectives mettent du temps à s’imposer. Et l’actualité nous montre que la question de l’État de droit peut se poser de nouveau au sein des États-membres du Conseil de l’Europe eux-mêmes.

Pour continuer à avoir une valeur ajoutée réelle, le Conseil de l’Europe doit continuer à s’adapter sans cesse aux nouveaux défis adressés à l’exercice des droits de l’Homme, afin de répondre aux préoccupations concrètes des citoyens. Ces enjeux recouvrent des thèmes aussi différents que l’intelligence artificielle, les questions bioéthiques ou la manipulation de l’information.

Le Conseil de l’Europe doit, en outre, améliorer encore ses procédures et mécanismes de suivi. Ses institutions doivent aussi devenir plus transparentes et irréprochables.

Beaucoup d’avancées ont été obtenues au cours des 70 ans passés. Citons à cet égard l’élection des juges de la Cour européenne des droits de l’Homme, celle des candidats au Comité de prévention de la torture (CPT), ou encore celle du titulaire du poste de Commissaire aux droits de l’Homme, pour ne mentionner que les plus marquantes.

Des travaux sont déjà engagés pour mettre en place une « procédure de réaction conjointe » à l’Assemblée parlementaire et au Comité des Ministres, en cas de violation de ses obligations par un État-membre, ou de non-respect des principes et valeurs fondamentaux. Je souhaite que ces travaux puissent déboucher dans les prochains mois.

Pour ma part, je suis intimement convaincu que les Parlements nationaux doivent se voir reconnaître un rôle plus important dans le suivi des travaux conduits au sein des institutions du Conseil de l’Europe.

Bien sûr, l’APCE est en quelque sorte leur émanation. Mais il serait sans doute très réducteur de cantonner la mission de nos assemblées, chers collègues Présidentes et Présidents, au seul examen périodique de l’activité de nos délégations respectives à Strasbourg et à l’analyse attentive des résolutions adoptées.

Nos Parlements nationaux doivent exercer un suivi plus global des actions conduites au sein des différentes institutions du Conseil de l’Europe. Cela signifie qu’ils doivent porter une attention soutenue à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme à l’égard de nos États respectifs, aux conclusions du Comité de prévention de la torture sur les lieux de privation de libertés, aux observations formulées par la Commissaire aux droits de l’Homme, afin d’en assurer une meilleure diffusion.

Ce suivi pourrait donner lieu – pourquoi ne pas l’envisager ? – à des débats dans les commissions en charge des organisations internationales, voire en séance publique, plus exceptionnellement compte tenu des contraintes d’ordre du jour inhérentes à nos assemblées. Cela permettrait de mieux faire connaître les travaux et l’action du Conseil de l’Europe.

Je pense aussi que le Conseil de l’Europe gagnerait à autoriser ses différents responsables – qu’il s’agisse de sa Secrétaire générale, du Président de la Cour européenne des droits de l’Homme ou de la Commissaire aux droits de l’Homme – à venir s’exprimer devant certaines instances parlementaires des États-membres. Leur audition, même exceptionnelle, permettrait de mieux faire connaître leur action au service des quelque 840 millions d’Européens vivant dans le ressort géographique de l’Organisation.

Comme vous tous ici, j’ai à cœur de préserver et de défendre l’apport du Conseil de l’Europe à la paix, au respect des droits collectifs et individuels ainsi qu’à la démocratie sur notre continent. Je forme le vœu que l’exercice auquel nous nous livrons aujourd’hui y contribue utilement.

Je vous remercie pour votre attention.

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