À l’occasion de la Conférence des Présidents des Parlements des pays du G7 2025 - Keynote sur le thème : « Les assemblées législatives dans un monde polarisé : favoriser des débats respectueux en Chambre et à l’extérieur de celle-ci »

Vendredi 5 septembre

Vendredi 5 septembre 2025

Ottawa - Canada

Seul le prononcé fait foi

Chers collègues,

Toutes les études universitaires, tous les baromètres politiques le confirment : la France est l’un des pays les plus fortement polarisés d’Europe.

Et c'est précisément pour cette raison que je tenais à aborder ce sujet avec vous. 

Parce que depuis 2022, cette fièvre polarisatrice, je la vis de l’intérieur, j’y fais face au quotidien, dans l’hémicycle ou en déplacement sur le terrain.

Et parce que de cette expérience, j’ai tiré des leçons et convictions qui pourront, je l'espère, éclairer notre débat commun.

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Mais avant tout, entendons-nous bien sur les termes : la polarisation n'est pas le pluralisme. Le pluralisme est le souffle qui fait respirer la démocratie ; la polarisation risque au contraire de l’étouffer, en séparant le champ politique entre des camps antagonistes et irréconciliables.

Ce phénomène ancien a aujourd'hui de nouvelles armes : les réseaux sociaux – dont nous avons analysé, dans notre débat précédent, les effets néfastes, des fausses nouvelles aux bulles cognitives.

Sous leurs coups de boutoirs, partout, le centre s’effrite, les fractures s’élargissent, le débat se tend.

Nous en faisons tous l’expérience dans nos assemblées respectives.  C’est ainsi que je préside l’Assemblée nationale la plus polarisée de l’histoire de la Ve République - une Assemblée divisée, morcelée en trois blocs antagonistes. Mais une Assemblée qui est aussi le fidèle reflet des fractures de la société française.

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Cette polarisation, chers collègues, a des conséquences directes sur notre travail parlementaire.

La première, c'est la théâtralisation et la conflictualisation du débat.

Pour certains députés, qui souhaitent exprimer leurs idées radicales par des méthodes radicales, l’hémicycle a été détourné de sa fonction première. Il n'est plus le lieu de la délibération, mais un instrument médiatique. Il est devenu un décor pour du happening permanent, un lieu de tournage pour des vidéos virales pour les réseaux sociaux.

Un autre phénomène, tout aussi délétère, est aussi apparu : l’évitement, le contournement volontaire du débat. Pour certains députés, l’objectif n'est plus de convaincre par la délibération parlementaire : mais d’empêcher son existence même. Et pour y parvenir, ces députés détournent les outils parlementaires classiques pour faire de l’obstruction : à l’image du droit d’amendement, utilisé non plus pour améliorer la loi, mais pour paralyser son examen.

 La deuxième conséquence de cette polarisation, c'est qu'elle a rendu le compromis bien plus ardu.

Certes, la France n'est pas connue pour sa culture de la coalition. Toutefois, aujourd'hui, nous faisons face à un paradoxe : arithmétiquement, afin d’agir pour les Français et de donner un budget à notre pays, jamais le compromis n’a été autant nécessaire ; mais politiquement, la polarisation nous en éloigne dangereusement. 

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Ce qui nous amène, chers collègues, à cette question centrale : face à cette polarisation, quelle est notre responsabilité comme Présidents d’Assemblée ?

 Notre rôle est éminemment politique : nous devons aujourd'hui regarder cette réalité en face, non pour s’y résigner, mais pour la conjurer.

C’est pourquoi, fidèle à mes valeurs, celles du dialogue, de la nuance, du compromis, j’ai fait du rassemblement et de la lutte contre la polarisation un principe d’action.

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Le premier pilier de cette action, c'est celui du dialogue. Un dialogue constant, exigeant, avec tous les groupes parlementaires - nous en comptons 11 aujourd'hui, un record absolu, contre 5 il y a dix ans.

Concrètement, pour mener ce dialogue, je m’entretiens, de manière très régulière, avec chaque président de groupe. Je négocie avec eux individuellement, en les recevant longuement dans mon bureau. Ou collectivement, chaque semaine, en Conférence des Présidents.

Mon principe, à cet égard, est intangible : je reçois chaque Président de groupe, tout comme chaque député, avec le même respect, la même considération, quels que soient leurs partis. Je ne fais pas le tri entre les députés. Car tous ont la même légitimité, conférée par le suffrage universel.

Et je peux vous l’assurer : cette méthode du dialogue a porté ses fruits. Nous avons par exemple adopté, à l’unanimité, dans un Bureau où je n'ai pourtant pas de majorité, une réforme de nos procédures de vote ou encore le budget de l'Assemblée pour l'an prochain.

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Le deuxième pilier de cette méthode, c'est celui du travail transpartisan.

Pour susciter une culture du compromis, j’ai ainsi ouvert une brèche dans le mur des oppositions en créant les « semaines transpartisanes ».

C'est-à-dire des semaines où l’ordre du jour parlementaire est réservé à des propositions de lois travaillées, en commun, par des députés de bords politiques opposés.

Des semaines, aussi, où l’ordre du jour est soustrait aux logiques de partis, grâce à la prééminence des sujets de fond.

Car pour dépasser la polarisation et les postures politiques, la meilleure manière est de partir du fond des sujets dès l’origine.

Et cette petite révolution a changé la donne. Entre décembre 2024 et juin 2025, 23 textes transpartisans ont été adoptés, dont plus de la moitié à l’unanimité, sur des sujets majeurs comme la définition pénale du viol, les déserts médicaux, le cancer du sein ou la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur.

J’ai aussi créé des groupes de travail transpartisans : comme sur la Nouvelle-Calédonie, un sujet délicat où un large consensus est requis.

Concrètement, j’ai ainsi vu, chaque jour, des députés que tout opposait mettre de côté leurs différends pour œuvrer, côte à côte, au bien de leurs concitoyens, démontrant qu'une Assemblée polarisée n’était pas une Assemblée bloquée.

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Chers collègues, le troisième pilier pour lutter contre la polarisation, c'est celui de l’autorité.

C’est sous ma Présidence que le plus de sanctions contre des députés ont été prononcées : 122 entre 2022 et 2025, contre 16 entre 2017 et 2022.

Mais qu'on ne s’y trompe pas : chacune de ces sanctions vise à « favoriser des débats respectueux », pour reprendre l’intitulé de notre discussion.

Sanctionner, ce n'est pas faire taire ; c'est garantir que chacun puisse parler. C'est mon devoir de Présidente, comme une forte attente de nos concitoyens. 

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Enfin, le quatrième pilier que j’ai mis en avant est celui qui vise à retisser le lien de confiance entre nos assemblées et nos citoyens.

Je le crois profondément : la démocratie représentative ne s'oppose pas à la démocratie participative. Elle s'en nourrit et réduit la polarisation du débat.

Je prendrai un exemple concret : la loi sur la fin de vie. Les débats parlementaires, dont tous ont salué la qualité et la dignité, furent précédés par un débat citoyen. Celui d’une Convention rassemblant 150 Français tirés au sort et qui ont pu trouver un consensus sur le fond, permettant ainsi d’apaiser le débat.  

C'est pourquoi, dans ce prolongement, je porte l’idée d’une meilleure association des citoyens au débat parlementaire.

Il existe, pour cela, une vraie demande dans le pays, comme en témoigne le succès sans précédent d’une pétition contre une loi réintroduisant un pesticide controversé, une pétition signée par plus de 2 millions de Français.

À ce titre, ce que j’ai vu à la Commission des Pétitions de Westminster en juin dernier, Mister Speaker, peut servir d’inspiration : à partir de 100 000 signatures, un débat parlementaire est envisagé à la Chambre des Communes. C'est aussi à cela que sert notre diplomatie parlementaire : à partager nos bonnes pratiques !

Nous devons donc continuer à rapprocher la décision politique des citoyens que nous représentons.

En France, j’ai pour cela proposé d’étendre le champ du référendum, de faciliter le recours au référendum d’initiative citoyenne, ou d’instaurer chaque année, une grande Journée de la participation avec un ou plusieurs référendums.

Mais je voudrais répondre à une objection possible. Plus de référendums, est-ce forcément plus de polarisation ? Je ne le crois pas.

C'est justement parce qu'il y a trop peu de référendums en France – pas un depuis 20 ans - et portant sur une seule question binaire, que l’exercice a pu polariser. Au contraire, des consultations plus fréquentes, avec des questions multiples et des réponses ouvertes, rendraient les débats référendaires moins polarisants.

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Chers collègues, ce combat contre la polarisation, il nous faut aussi le porter au-delà de nos frontières, sur la scène d’un monde qui se polarise lui-même.

De nouvelles fractures apparaissent. Elles opposent les défenseurs du droit, du multilatéralisme, de la Charte des Nations Unies, à ceux qui n’y croient plus. À ceux qui préfèrent, à la force de la loi, la loi de la force.

De plus, les crises internationales aggravent la polarisation du débat national : l’agression russe en Ukraine, et surtout le drame au Proche-Orient, fracturent ainsi nos sociétés de l’intérieur et tendent les délibérations dans nos hémicycles.

Plus que jamais, nous, présidents d’Assemblée du G7, avons donc une impérieuse responsabilité.  Dans un monde où nos valeurs fondamentales sont attaquées de toutes parts, nous devons être les remparts intransigeants de l’État de droit, de la démocratie, de nos institutions.

Et pour cela, la diplomatie parlementaire que nous incarnons est une force. Elle est une diplomatie des peuples. Quand les canaux officiels sont tendus, gelés, nos échanges peuvent maintenir un fil, même ténu, pour préparer l'avenir.

J’en ai eu un exemple concret et émouvant en juillet dernier, lors de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie. Dans l’hémicycle même de l'Assemblée nationale, j’ai vu les représentants de la République Démocratique du Congo et du Rwanda se serrer la main et nouer un geste d’amitié. Voici le sens de nos réunions : être des passeurs de paix.  

Et pour nous donner une nouvelle occasion de le faire, je voudrais à nouveau remercier la présidence canadienne, cher Francis Scarpaleggia.

À mon tour, c’est avec un très grand plaisir que je vous accueillerai pour le G7 Parlementaire à Paris, du 10 au 12 septembre 2026.

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Chers collègues, il y a 70 ans, le grand écrivain français Albert Camus écrivait ces lignes très actuelles : « On dit d’un homme : “C’est un homme équilibré”, avec une nuance de dédain. Mais en fait, l’équilibre est un effort et un courage de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l’avenir. »

Ce courage, c'est celui qui nous est demandé aujourd'hui.  

Le courage de la nuance face aux polarisations.  

Le courage du dialogue face aux monologues des extrêmes.  

Le courage de l’écoute dans un monde qui hurle.  

Oui, dans ce monde de plus en plus polarisé, il n’y a pas plus radical, nécessaire et courageux que la nuance. C’est le vœu que je forme, pour la France et pour le monde : bâtissons une alliance des nuances.  Continuons à bâtir des ponts et à rapprocher les rives de tous les pays.  Je vous remercie.

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