Mardi 17 décembre 2024
Discours
Discours
Douzième édition de l’Assemblée des idées, sur le thème « Écologie : faut-il décroître pour survivre ?»
Dimanche 15 septembre
Place Stanislas, Nancy
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le maire, M. Mathieu Klein,
Monsieur le Secrétaire général, représentant la préfète Mme Françoise Souliman,
Madame et messieurs les Ambassadeurs et Consuls généraux,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les porte-drapeaux et les représentants d’associations mémorielles,
À mon tour, je viens célébrer la libération de Nancy, et c’est avec une immense émotion que je retrouve aujourd’hui ma ville natale.
Oui, c’est une Nancéenne qui préside aujourd’hui l’Assemblée nationale – et je veux le dire ici à pleine voix, c’est d’abord grâce à Nancy que j’ai fait ce chemin : grâce à Nancy, ville européenne, ville martyre relevée par le travail et l’union de tous ses habitants ; Nancy, ville industrieuse et accueillante, qui fut l’un des grands creusets de la nation française. En ce jour de souvenir et d’unité, je te salue Nancy, moi qui te dois tant pour m’être épanouie ici dans l’amour de la France et de la République.
Après Nancy, j’ai voyagé, j’ai vécu en Asie, puis me suis installée dans les Yvelines… mais je ne vous le cacherai pas : toujours, j’ai conservé une pensée pour la Lorraine et Nancy, une intime nostalgie pour ce grand Est où les matins sont plus frais qu’ailleurs mais les mirabelles plus savoureuses et plus dorées, où les gens sont francs et solidaires dans les épreuves. Où plus qu’ailleurs sans doute les traces d’une histoire tragique se lisent dans la pierre des villes.
Car Nancy est au centre de ce petit périmètre, entre les Champs catalauniques, Valmy et Verdun, où, tant de fois, s’est joué le sort de notre nation.
Nancy fut autrefois capitale : celle du vaste duché de Lorraine, où convergeaient et parfois s’opposaient influence française et influence allemande.
Nancy chercha sa voie en devenant ville européenne, comme nous le rappelle jusqu’au nom de cette sublime place Stanislas - en souvenir de l’ancien roi de Pologne Stanislas Leszczynski, devenu le gendre de Louis XV et le dernier duc souverain de Lorraine et de Bar, qui fit de cette ville un manifeste de l’humanisme au temps des Lumières.
C’est aussi de Pologne, beaucoup plus tard, qu'est venu mon grand-père : il n’était ni roi ni duc, un simple tailleur juif qui fuyait les persécutions et voyait en la France républicaine un havre de paix. Il ne cherchait pas seulement un refuge : c’était une nouvelle patrie qu’il avait trouvée, une nouvelle chance pour la famille qu’il voulait construire.
Arrivé en 1929, il vit bientôt que tout n’était pas rose au pays des Droits de l’Homme, frappé par le chômage et la montée de l’antisémitisme. Mais il s’accrocha, il travailla, quinze heures par jour, dimanches compris. Il épousa ma grand-mère, réfugiée d’Allemagne, tous deux apprirent le français et firent leur vie dans cette ville.
Dix ans après son arrivée en France, mon grand-père était toujours de nationalité polonaise, mais dans son cœur, déjà, il était Français. Et il le prouva quand la Seconde Guerre mondiale éclata : le jour même de la mobilisation générale, il se présenta aux bureaux de recrutement de la Légion étrangère. Pour s’engager contre l’Allemagne hitlérienne, contre l’idéologie raciste et totalitaire des nazis, le tailleur laissait ciseaux, tissus et atelier pour porter les armes, au service de cette France qui l’avait accueilli, au service de la République et de son idéal démocratique.
J’ai retrouvé ses états de service : il s’était battu, durement battu, jusqu’à l’armistice, défendant au péril de sa vie un pont sur la Marne ; et plus tard, replié en Savoie, il se battit encore au sein de la Résistance. J’aimais et j’adorais mon grand-père, mais je l’admirais aussi : car, quand j’allais le rejoindre dans sa boutique du 18, avenue du Général Leclerc, même s’il ne racontait pas le détail de ses campagnes, je savais qu’il avait été un héros digne de ces autres Nancéens qui s’étaient illustrés comme combattants de la liberté.
Nancy s’était battue en 1870 pour rester française - et l’étant en effet restée, avait accueilli ensuite nombre d’Alsaciens et Mosellans qui avaient choisi la France.
Nancy s’était battue de 1914 à 1918, malgré les tirs d’artillerie, malgré les bombardements, avec cet héroïsme qui lui a valu d’être l’une des 22 villes françaises décorées de la Légion d’honneur après la Grande Guerre.
Cette guerre devait être la « der des ders ». Et pourtant, en 1940, prise sans combat, Nancy tombait sous le joug de l’occupant.
Sans combat, ai-je dit ? Ce n’est pas vrai, car les Nancéens continuaient à se battre dans l’ombre, ici et ailleurs, cinq années durant, pour vaincre le totalitarisme nazi et pour retrouver leur liberté.
C’est à Nancy que sont nés dix des 1 038 Compagnons de la Libération distingués par le général de Gaulle.
C’est à Nancy que des citoyens héroïques prirent des risques inouïs pour sauver des juifs de la déportation. Ils sont aujourd’hui reconnus comme Justes parmi les Nations, et je veux citer maintenant leurs noms : Charles Bouy, Marcel Courtot, Jean Dantonel, Marcel Galliot, Camille Kleinclauss, Georgette Larchet, Paul Larchet, Pierre Marie, François Pinot, Charles Thouron, Arthur Varoquaux et Édouard Vigneron.
C’est à Nancy encore, et dans toute la Meurthe-et-Moselle, que se levèrent et se structurèrent ces quelque 2 000 FFI qui, en 1944, prirent part aux combats de la Libération, et ces résistants du Groupe Lorraine 42. Certains d’entre eux rejoindront ensuite les troupes du général de Lattre et prendront part à la campagne d’Alsace.
Ces résistants, ces paladins de la démocratie et des droits de l’Homme, ne les oublions jamais : c’est d’abord pour les honorer que nous sommes ici réunis, puisqu’ils défilèrent ici même, il y a 80 ans, le 25 septembre 1944, devant le général de Gaulle venu place Stanislas saluer la libération de Nancy.
Mon grand-père, rentré chez lui le mois suivant, avec dans ses bagages les casques des ennemis qu’il avait fait prisonniers en Savoie, n’assista pas à ce moment. Il le regretta sûrement, car le chef du Gouvernement provisoire de la République française fit ici l’un de ces discours majestueux, mémorables, qui marquent la vie d’une nation.
Ce que dit le général de Gaulle aux Nancéens, en effet, doit être pleinement entendu - entendu de nous encore, entendu de nos jours surtout.
« Que de chagrins, que d’angoisses mais aussi que d’espérance ont été en nos cœurs », et ses mots, nullement revanchards, étaient porteurs d’espoir et de reconstruction.
Dans le chaos des destructions, il exhortait la France à se relever, à jouer pleinement son rôle sur la scène européenne et mondiale, avec le concours de tous les citoyens, de toutes les citoyennes. Et voici ce qu’il ajoutait : « Nous ferons cela dans l’ordre. Nous ferons cela par le travail, l’union, car on n’a jamais rien fait qu’en se tenant les mains les uns les autres pour marcher vers un but commun, comme des frères et des sœurs que nous sommes. Voilà le programme de la France. »
Ce programme doit rester le nôtre : l’union des Français pour travailler à l’intérêt général et ériger un modèle de vie commune dont nous puissions tous être fiers.
Dans son discours, le général de Gaulle reformulait à sa manière le grand idéal d’Ernest Renan, pour qui « ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir ».
Et en effet pour ma part, je ne suis pas seulement venue pour commémorer le passé. Je veux m’en inspirer pour préparer l’avenir, avec la même audace.
L’avenir, notre avenir, ce ne peut être que de travailler dans l’union à une France plus prospère et plus juste, à une démocratie plus moderne et plus ouverte, à une société qui donne à chacun sa chance et sa chance à chacune.
En me recevant ici, vous m’avez permis de dire « merci » à Nancy qui accueillit mon grand-père ; « merci » à mon grand-père qui gagna, par son courage, la nationalité française ; « merci » à la France qui a fait d’une petite fille d’immigrés la première présidente de l’Assemblée nationale. La promesse républicaine a été tenue pour moi, je veux qu’elle soit tenue pour les autres, tous les autres, aujourd’hui et demain.
En mesurant l’honneur qui m’est fait de prendre la parole place Stanislas quatre-vingts ans après le général de Gaulle, je forme le vœu que, tous ensemble, collectivement, nous sachions unir nos forces pour construire la France de demain : une France belle, audacieuse, inventive, une France qui parle au monde et qui ne se replie pas sur elle-même, une France qui forge de nouveaux outils démocratiques et qui récuse définitivement toutes les discriminations et les ségrégations. Car la Nation, c’est le contraire du nationalisme et de l’exclusivisme : c’est l’affirmation d’une foi en nos capacités créatives, c’est l’appel aux bonnes volontés pour bâtir une société meilleure.
Nancy, un jour inquiète de son identité, vota nationaliste en élisant comme député le jeune Maurice Barrès. Mais quelques années plus tard, en visite ici, Jaurès remit Barrès à sa place en lui disant : « Croyez-vous que ce soit satisfaisant une patrie dont si peu jouiront, une patrie où cette place Stanislas n’est pas de la beauté pour tous ? Je crois à une autre société, à un avenir où tous jouiront de la beauté… »
À nous de faire en sorte que la France soit de la beauté pour tous !
Vive Nancy, vive la République, vive la France !
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