Apposition d’une plaque dans l’hémicycle en mémoire de Madeleine Braun

Mercredi 8 mars

Hémicycle de l'Assemblée nationale
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Mesdames et messieurs les membres du Bureau,

Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes, chère Véronique Riotton,

Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,

Mesdames, messieurs, chère Sandrine Bonnaire,

Braun, c’est un nom qui n’est pas anodin pour moi. Pourtant, je tiens à vous le dire et à vous le garantir, il n’y a aucun lien de famille entre Madeleine Braun et moi. Juste une communauté de destin puisque ce fut elle qui, le 30 juillet 1946, fut la première Française à monter au Perchoir pour présider une séance.

Les archives de l’Assemblée nationale conservent une série de photographies de l’événement. Sur la dernière, la vice-présidente Braun essuie discrètement une larme d’émotion : ce jour-là, en accédant au fauteuil présidentiel, elle a conscience de vivre et d’incarner une mutation majeure de la vie politique française.

Madeleine Braun est née Madeleine Weill, le 25 juin 1907 à Paris. L’année précédente, une proposition de loi a été déposée pour reconnaître le droit de vote aux femmes, mais il faudra treize années et une première guerre mondiale pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour dans cet hémicycle…

Madeleine a onze ans quand, le 20 mai 1919, les députés votent à une large majorité cette proposition de loi, que le Sénat refusera ensuite d’examiner, jusqu’à la fin de la Troisième République.

Madeleine a dix-sept ans lors des municipales de mai 1925, quand les communistes présentent des candidates sur leurs listes : quelques-unes, proclamées élues, seront invalidées ensuite, mais pendant quelques semaines elles auront siégé, parlé, voté, montré leurs compétences et leur force de conviction dans plusieurs conseils municipaux.

À cette époque toutefois, la jeune Madeleine est encore loin du communisme. Son père, Albert Weill, est directeur de société. Sa mère, Gabrielle Hirsch, artiste peintre. C’est donc dans un milieu bourgeois très parisien que grandit la jeune Madeleine. Après la Faculté de droit de Paris, elle épouse à vingt-trois ans un homme d’affaires, Jean Braun, qui devient ensuite administrateur délégué de la Société Parisienne de Verrerie. 

Mais Madeleine Braun est indépendante : pas question de rester inactive, sans utilité sociale ni revenus personnels. Son beau-père, Salomon Braun, lui confie le soin d’organiser le service social de l’hôpital qu’il dirige. 

C’est là que la jeune femme prend pleinement la mesure de la détresse sociale qui frappe certains de ses contemporains, là qu’elle s’insurge contre l’injustice sociale et les inégalités.

Or cette femme de gauche voit, partout autour d’elle, en Italie, en Allemagne, en France aussi, monter des mouvements populistes qui prospèrent sur cette détresse sociale, prétendant lui trouver remède dans la xénophobie, l’antisémitisme et la dictature. Démocrate et pacifiste, elle décide d’agir contre la montée du fascisme et les risques de guerre.

Membre du comité directeur du Mouvement Amsterdam-Pleyel, aux côtés de Romain Rolland et d’Henri Barbusse, elle devient secrétaire générale du Comité international de coordination et d’information pour l’aide à l’Espagne républicaine, quand la rébellion du général Franco met en péril la république démocratique née de l’autre côté des Pyrénées. Malgré le danger, cette femme engagée séjourne plusieurs fois en Espagne pendant la Guerre civile.

Dans le soutien à la République espagnole, puis l’aide aux réfugiés antifranquistes, elle fait l’apprentissage de la clandestinité, tissant des réseaux qui vont se révéler utiles en France, quand les armées de l’Allemagne hitlérienne submergent le pays.

Vient alors le temps des persécutions, des rafles, des déportations, voulues par l’occupant mais aussi, ne l’oublions jamais, par les autorités collaborationnistes de l’État français.

Sous l’Occupation, on retrouve Madeleine Braun à Lyon, où elle s’engage dans la Résistance, établissant des liaisons périlleuses entre communistes et gaullistes. Elle-même adhère au Parti communiste en 1942. Rédactrice du Patriote en zone sud, elle devient directrice de ce journal à la libération de Lyon. Son courage lui fait mériter, la paix revenue, la rosette de la Résistance, la Croix de chevalière de la Légion d’honneur et la Croix de guerre avec palme. Le 8 novembre 1944, elle est désignée comme déléguée à l’Assemblée consultative provisoire, le « Parlement de la Résistance ». 

Les Françaises, depuis l’ordonnance du 21 avril 1944 signée par le général de Gaulle, sont désormais électrices et éligibles. Aux élections pour l’Assemblée nationale constituante de 1945, Madeleine Braun figure sur la liste communiste, en quatrième position, pour la sixième circonscription de la Seine, recouvrant les communes de Saint-Denis, d’Aubervilliers, de Pantin, de Noisy-le-Sec, de Montreuil et de Vincennes.

À la proportionnelle, Madeleine Braun est élue : elle fait partie de ces 33 premières femmes membres d’une assemblée parlementaire française, que leurs collègues masculins appellent encore les « députettes », non sans une certaine condescendance.

Députée active, Madeleine Braun est réélue à la Constituante de 1946, puis à la première Assemblée nationale de la Quatrième République.

Surtout, le 14 juin 1946, elle est élue vice-présidente de l’Assemblée nationale constituante. Madeleine Braun sera une vice-présidente appréciée et respectée : quatre fois réélue à cette difficile fonction, elle présidera toujours avec efficacité et impartialité, en un temps où les polémiques sont vives et où son groupe, à partir de 1947, mène la vie dure aux gouvernements.

Comme femme politique et comme avocate, je salue sa proposition de loi « tendant à faire admettre les femmes, à égalité de titres, à toutes les fonctions publiques et professions libérales ».

Madeleine Braun propose aussi de préciser par la loi la nullité des actes de spoliation accomplis sous l’Occupation, et de créer un véritable statut des étrangers vivant et travaillant en France. Particulièrement attentive au sort des réfugiés espagnols, elle ne manque pas l’occasion de rappeler que certains d’entre eux ont combattu dans les rangs de la Résistance intérieure ou de la France libre, contribuant à libérer le territoire français. 

Elle pense aussi à eux, et à tous leurs frères d’armes, lorsque, le 8 mai 1947, du haut du Perchoir, elle rend hommage à l’ensemble des forces qui ont triomphé du nazisme, « à tous les soldats, avec ou sans uniformes », qui ont sauvé la démocratie.

Dans ce monde d’après-guerre où se redessine la carte du monde, elle suit avec intérêt le mouvement sioniste. Le 30 juillet 1947, un an jour pour jour après son accession au fauteuil présidentiel, elle dépose ainsi une proposition de résolution « tendant à inviter le Gouvernement à prendre toutes initiatives permettant de résoudra le plus rapidement possible le problème tragique de l’Exodus », ce navire qui erre alors en Méditerranée, avec à son bord 4 500 rescapés de la Shoah qui cherchent une nouvelle patrie en Palestine, encore sous mandat anglais.

À l’époque, la gauche regarde avec sympathie ces réfugiés, tout comme l’expérience des kibboutz et l’ensemble des mouvements qui vont donner naissance à l’État d’Israël, dont l’URSS est d’abord l’alliée. 

Pourtant, à la fin du règne de Staline, un raidissement vise bientôt les intellectuels juifs et les anciens des Brigades internationales, soupçonnés de « déviation titiste ».

Madeleine Braun reconnaît avoir omis de signaler ses contacts avec l’Américain Noel Field, rencontré quand elle soutenait la République espagnole. La résistante, la pionnière se trouve soudain soupçonnée de trahison. 

En Hongrie, à l’issue d’un simulacre de procès, le dirigeant communiste László Rajk est pendu, lui qui fut aussi en lien avec Field. En Tchécoslovaquie, où Madeleine Braun l’a rencontré, Artur London subit les épreuves qu’il relatera dans son livre L’Aveu. Dans ce contexte, Madeleine Braun et son mari connaissent une longue disgrâce. Aux élections législatives de 1951, la première femme à avoir présidé une séance parlementaire ne figure plus sur la liste des candidats du PCF.

Militante disciplinée, Madeleine Braun accepte le châtiment qui la frappe, sans cacher « le déchirement » qu’il représente pour elle.

Après la mort de Staline, après l’orage, les accusations qui la visaient sont bientôt oubliées : Madeleine Braun n’aura plus de mandat électif mais, auprès d’Aragon, durant près de trente ans, la voici qui met ses talents au service de la presse et de l’édition communistes, au sein des Éditeurs Français Réunis et de la prestigieuse revue Europe.

Quand elle s’éteint, le 22 janvier 1980 à Saint-Cloud, le monde est en train de changer. Les deux blocs se lézardent, l’URSS n’est plus un modèle et la déstalinisation semble acquise. Rajk a été réhabilité, L’Aveu est adapté à l’écran par Costa-Gavras et les communistes français font pleinement partie de notre arc républicain.

De Madeleine Braun, je retiendrai surtout deux engagements majeurs qui justifient, aujourd’hui, l’honneur d’une plaque au Palais-Bourbon : son antifascisme et son féminisme. Deux combats qui se rejoignirent dans la Résistance.

Pour en rendre compte, avant de dévoiler la plaque, je voudrais vous faire entendre deux beaux textes de Madeleine Braun : Sandrine Bonnaire a accepté de nous les dire et c’est bien volontiers que je lui cède la parole.
Je vous remercie.

[Lecture de deux textes par Sandrine Bonnaire]

Un grand merci, chère Sandrine Bonnaire, pour avoir ravivé ici le souvenir et la voix de Madeleine Braun.

En cette Journée internationale des Femmes, je vais maintenant procéder au dévoilement de la plaque en l’honneur de la première femme à avoir présidé une séance de l’Assemblée nationale. J’invite les membres de sa famille à m’accompagner.

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