Inauguration de la salle « Michel Crépeau »

Mercredi 23 février

Palais Bourbon 5è bureau
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le ministre, 
Monsieur le vice-président, 
Monsieur le questeur, 
Madame et monsieur les présidents de groupe,
Mesdames et messieurs les députés,
Madame la première adjointe au maire de La Rochelle, 
Monsieur le président de l’Association des anciens députés 
Mesdames, messieurs,

C’est avec plaisir bien sûr, mais aussi avec émotion, que je vous accueille aujourd’hui en ce « 5e Bureau » qui va devenir officiellement, dans quelques minutes, la « Salle Michel-Crépeau ».

Émotion, ai-je dit, parce que nous ne pouvons nous souvenir sans une certaine intensité d’un homme aussi passionnément animé de foi républicaine que l’était Michel Crépeau. 

Émotion, aussi, parce que j’ai le sentiment de rendre enfin justice au grand parlementaire, au député d’exception qu’il a été, à celui qui fut tout à la fois et d’un seul tenant « radical, citoyen et vert », pour reprendre le nom du groupe parlementaire qu’il présida, durant son dernier mandat. 

À cet égard, faire coexister sans anicroche des radicaux de gauche, des écologistes pétris de culture libertaire et des chevènementistes constituait en soi un exploit. Et faire entendre leur voix presque commune au sein de la majorité de l’époque, et jusqu’en notre Conférence des présidents, témoignait à tout le moins d’un extraordinaire sens de la synthèse, qu’autorisaient tout à la fois son humour et son brio.

Michel Crépeau, c’était d’abord une voix. Celles et ceux qui l’ont entendue, ne serait-ce qu’une fois, la conservent gravée dans leur mémoire, cette voix profonde et étrangement railleuse, grave sans être pesante, goguenarde sans être traînante.

Une voix qui disait la conviction, la passion, le goût du débat démocratique et l’amour du bien public, une vive voix d’humaniste heureux et d’orateur-né, capable de tenir en haleine l’Assemblée tout entière, sans la moindre note.

Un jour que la majorité de gauche avait besoin de temps pour garnir ses bancs, avant le vote d’un amendement à la loi de finances, Michel Crépeau fut requis pour « meubler ». Dans cette situation, hélas courante, beaucoup de députés se trouvent quelque peu dans l’embarras. Lui, pas du tout : le débat ayant un vague rapport avec la mer, le député de la Charente-Maritime improvisa un brillant exposé sur la relation complexe entre la France et l’élément marin, entre ce pays terrien dont il connaissait les racines paysannes et l’immensité océanique où se joue l’avenir de notre planète ; la navigation, la plaisance, l’océanographie, la pêche, tout y passa dans un souffle, et l’hémicycle agité d’une trombe marine applaudit l’orateur, dont la voix inimitable déplorait, à la fin, que les Français ne mangent pas assez de poisson…

L’amendement fut voté sans même que l’opposition ne songe à protester, charmée qu’elle était par cette voix qui portait au Palais-Bourbon, avec le vent marin, le sel de cette éloquence charnelle qui avait fait les grandes heures de la République.
Ce fut cette même voix singulière qui s’éleva, un certain 23 mars 1999, durant les questions au Gouvernement, pour défendre l’épargne populaire. Un président de groupe qui interpellait le ministre des Finances de sa propre majorité, pour lui reprocher de s’en remettre à « un comité de technocrates », l’événement était déjà considérable en soi et l’hémicycle s’électrisait. 

« Je ne pense pas être un démagogue », lança d’emblée Michel Crépeau, soulevant une tempête d’exclamations à droite. L’opposition était tombée dans son piège et immédiatement il lui cloua le bec : « Les radicaux ont su faire preuve du sens de l’État. Le général de Gaulle l’avait dit à M. Chaban-Delmas et à M. Debré », rappela-t-il.

Puis, se tournant vers la gauche, il la ramenait à ses devoirs envers les petits épargnants, pris de vertige, disait-il, « en considérant ce que François Mitterrand appelait la kermesse de l’argent fou ». 

Si la rémunération de l’épargne populaire devait stagner, alors il fallait des contreparties et je veux souligner que les dernières paroles de Michel Crépeau, à 68 ans, furent pour suggérer de « doubler le montant du capital que l’on peut verser sur le livret-jeune, […] pour aider les jeunes qui veulent s’établir dans la vie ».

Michel Crépeau, ce jour-là, posa sa question, toute sa question, qui fut largement applaudie. Mais à peine le ministre des Finances, Dominique Strauss-Kahn, commença-t-il de répondre, que le président Crépeau chancela. Sa fougue, son alliée de toujours, l’avait cette fois entraîné trop loin et ce fut victime de son feu oratoire qu’il tomba, en pleine séance, en plein triomphe, plus parlementaire que jamais.

De multiples contretemps, liés en particulier au contexte sanitaire, nous ont empêché de tenir cette cérémonie d’hommage à une date symbolique, à l’anniversaire de sa naissance ou de son décès par exemple, et croyez bien que je le regrette. Pourtant, les hasards du calendrier commémoratif font bien les choses, puisque nous nous rassemblons ici en pleine « Année Molière », pour saluer celui en qui tous les observateurs avisés de la politique ont vu le Molière du parlementarisme français. Et pas seulement pour ses adieux à la scène, d’ailleurs.

Comme Molière, Michel Crépeau combattait le dogmatisme, l’intolérance et l’hypocrisie. 

Comme Molière, il avait pour armes les mots, l’esprit, le talent. 

Comme Molière enfin, il savait désarmer l’adversaire en suscitant le rire, ce grand rire qui a fait tomber tant de faux dévots et qui l’ancrait dans cette longue lignée d’humanistes libérateurs : Rabelais, Molière, Voltaire s’exprimaient par sa bouche quand il ironisait sur les travers de son temps, lui en qui Robert Badinter a bien vu « qu’il incarnait, à sa façon joyeuse, l’idéal républicain ».

Comme Molière enfin, Michel Crépeau avait le sens de l’intrigue et l’esprit malicieux ; et je ne résisterai pas au plaisir de citer la manière dont il organisa, en 1992, durant le sommet franco-allemand qui se tenait dans sa ville, la pose de la première pierre de l’Université de La Rochelle, par Helmut Kohl et François Mitterrand. 

Cette université n’existait même pas sur le papier, toute la technocratie du ministère concerné en refusait l’idée, mais du moment que la première pierre en fut scellée par d’aussi hauts personnages, les Diafoirus et Monsieur Dimanche de la technostructure se trouvèrent bien obligés de donner suite, et l’université sortit de terre : chapeau, l’artiste !

Mais ne nous y trompons pas : le rire de Michel Crépeau était ainsi pudeur et profondeur, une manière bien à lui d’appuyer là où il discernait un problème à résoudre, et toute son existence fut ainsi vouée à faire avancer la France et la République.

Lui que tous croient aujourd’hui Rochelais était né à Fontenay-le-Comte, ville aimée de Rabelais et à laquelle François Ier donna pour devise prémonitoire : « Fontaine et source jaillissante des beaux esprits ». Nous sommes dans cette « Vendée bleue » de Clemenceau où le républicanisme est un sport de combat.

Fils d’instituteur laïc, Michel Crépeau est radical dès le berceau et le demeure à vingt-cinq ans, lorsqu’il devient avocat, à la fin de l’expérience mendésiste.

Avec Clemenceau, il sait que « la démocratie se doit d’être une création continue ». Avec Mendès, il devine que le radicalisme doit se réinventer pour poursuivre son combat au XXe siècle. Conseiller général en 1967, maire de La Rochelle à partir de 1971 et pendant vingt-huit ans, député dès 1973, il sera un radical innovant, pionnier de l’écologie municipale, en même temps qu’un Européen convaincu.

Chez Michel Crépeau, l’élu local s’adresse à la Nation française et au continent européen tout entier pour leur dire : « C’est possible ! »

Pas du tout idéologue, mais expérimentateur pratique et pragmatique, il tente, il essaie, il démontre par l’exemple. La voiture électrique ? C’est possible, ça marche, voyez à La Rochelle. Les secteurs piétonniers, les « vélos jaunes » en libre-service, le tri sélectif, la préservation du littoral ? C’était possible, La Rochelle l’a prouvé avec trente ans d’avance sur nos plus grandes métropoles et je dois dire que s’il fallait un jour chercher à justifier le cumul des mandats, ce serait l’expérience novatrice de Michel Crépeau qui viendrait immédiatement à l’esprit.

En 1981, ce maire inventif se présentait d’ailleurs à l’élection présidentielle, sachant bien qu’il n’avait aucune chance d’être élu, mais convaincu que les radicaux de gauche et leur vision ouverte du monde ne pouvaient être absents de ce grand rendez-vous démocratique. Près de 700 000 citoyennes et citoyens l’encouragent de leur suffrage au premier tour : autant de voix précieuses au second, lorsque François Mitterrand l’emporte, avec le soutien déclaré du député-maire de La Rochelle.

Réélu député, Michel Crépeau quitte bientôt son siège pour entrer au Gouvernement. Ministre de l’Environnement dans le gouvernement de Pierre Mauroy, il vote la Charte mondiale de la nature à l’Assemblée générale de l’ONU, en 1982. Puis il devient en 1983 ministre du Commerce et de l’Artisanat : un portefeuille étendu au Tourisme dans le gouvernement de Laurent Fabius en 1984. 

L’homme des Francofolies est aussi le père de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), le concepteur de nos chambres régionales des métiers et de l’artisanat, ainsi qu’un rénovateur de l’apprentissage, que ce champion de l’égalité républicaine ouvre aux niveaux de formation supérieure.

En février 1986, c’est la consécration. À l’issue du Conseil des ministres, François Mitterrand lui demande de rester. « Je croyais que j’allais me faire engueuler », confiera Michel Crépeau avec toute la modestie de sa gouaille. Robert Badinter étant nommé président du Conseil constitutionnel, c’est à l’avocat de La Rochelle qu’est confié le poste prestigieux de Garde des Sceaux. 

 « On ne remplace pas Robert Badinter, on lui succède », témoignera Michel Crépeau, qui aura cette analyse très personnelle de son passage place Vendôme, après l’alternance de 1986 : « J’ai été avocat pendant 28 ans et Garde des Sceaux pendant 28 jours. Si je suis le seul ministre de la Justice à ne pas avoir commis d’erreur, c’est parce que je n’en ai pas eu le temps… »

Redevenu député aux législatives de 1986, Michel Crépeau le restera jusqu’au bout, assumant à partir de 1997 les responsabilités de président de groupe.

Depuis son départ, disons-le : sa voix nous manque, son esprit narquois nous ferait du bien, sa vision d’une Europe démocratique et respectueuse de l’environnement nous guiderait utilement dans les grands chantiers qui sont ceux du législateur contemporain et qu’il avait pressentis.

Michel Crépeau n’est plus : il repose sous un laurier, au petit cimetière de Saint-Maurice, à La Rochelle, où vous vous êtes recueillie Madame, le jour où mon prédécesseur Laurent Fabius prononçait l’éloge funèbre de votre mari, dans cet hémicycle que vous ne vouliez plus revoir, puisqu’il vous avait enlevé votre époux. Votre présence, aujourd’hui, honore l’Assemblée nationale.

En acceptant d’être aujourd’hui parmi nous, Madame, vous donnez tout son sens à cette belle phrase de Michel Crépeau qui a été gravée sur sa tombe : « J’accepte de mourir en tant qu’individu, dès lors qu’il me sera permis d’éprouver au jour de ma mort le sentiment d’avoir accompli ma part d’humanité. C’est à travers elle que je survivrai. »

Oui, Michel Crépeau a pleinement « accompli sa part d’humanité », et peut-être même un peu plus. 

Oui, il a largement mérité de se survivre ici. 

Oui, notre ancien collègue est entré dans les annales de l’histoire parlementaire française et, à ce titre, a pour toujours droit de cité dans ces murs. Au Palais-Bourbon, où son nom a si longtemps circulé dans l’hémicycle et dans les couloirs, il était juste que l’Assemblée nationale lui rende hommage en le fixant enfin sur une plaque.

Dans cette salle, où figure maintenant son portrait, les députés ne se réuniront plus dans l’anonyme « 5e Bureau ». Ils travailleront et parleront sous les auspices d’un maître orateur nommé Michel Crépeau, d’un magicien de la politique à qui je suis heureux de dédier ce lieu.

Pour le dévoilement de la plaque, sur la porte d’entrée, je vous prie de bien vouloir me suivre à l’extérieur. Mais dès maintenant, au nom de la représentation nationale et en mon nom personnel, je vous remercie de votre présence en ce jour où Michel Crépeau va entrer, définitivement, dans la pierre du Palais-Bourbon.

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