Apposition d’une plaque en mémoire d’Aristide Briand

Mardi 6 décembre

Hémicycle de l'Assemblée nationale
Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les ministres,

Mesdames et messieurs les membres du Bureau,

Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,

Mesdames, messieurs,

Vous en conviendrez avec moi, c’est un joli prénom, Aristide. Il n’est plus très usité de nos jours, mais en 1862, quand les Briand baptisèrent ainsi leur fils du nom d’un stratège athénien, ils en attendaient beaucoup.

L’avenir ne les a pas déçus et c’est pourquoi nous voici réunis ce jour, 160 ans après sa naissance, 90 ans après sa disparition, pour rendre hommage à Aristide Briand, qui fut onze fois président du Conseil, vingt-cinq fois ministre – un record ! –, mais surtout rapporteur de la loi de 1905 et prix Nobel de la paix.

Dès l’enfance, Aristide Briand porte les espoirs d’un couple de simples cabaretiers à Saint-Nazaire, qui encouragent les dons de leur fils. Don de parole, belle intelligence, qualités humaines étonnantes. Dès le lycée, à Nantes, le jeune Aristide est remarqué par le père d’un de ses camarades : c’est Jules Verne lui-même, qui charmé par l’entregent de cet adolescent, l’embarque pour des promenades en mer, avant de le faire entrer dans la littérature.

Car le jeune Briant – avec un t –, le héros qui apprend aux enfants naufragés à s’unir pour survivre sur une île déserte dans Deux Ans de vacances, c’est lui. Tout jeune, Aristide est déjà un personnage de roman ; il lui reste à devenir un personnage historique.

Ses débuts sont difficiles. Avocat « rouge », pacifiste et antimilitariste, il peine à se faire élire, échouant trois fois aux législatives. Il est vrai que ses amours, avec l’épouse d’un banquier, au temps où l’adultère constituait un délit pénal, l’ont obligé à quitter Saint-Nazaire pour Saint-Étienne, passant de l’embouchure aux sources de la Loire. Comme il le dit lui-même, avec cette gouaille qui lui était propre : « J’ai fait comme les saumons, j’ai remonté le fleuve. »

En 1902 enfin, il est élu député de la Loire. Il siège alors à l’extrême gauche, à côté de Jaurès, son mentor. Une photographie les montre côte à côte, sur le banc où va bientôt briller sa plaque.

Ah ! ces avocats qui débutent en politique… Ils sont parfois fougueux, mais ils peuvent faire bouger les choses ! Trois ans seulement après son élection, le député Briand est le rapporteur du texte qui, rompant un siècle de Concordat, doit séparer les Églises de l’État.

La mission semble impossible, mais Aristide Briand mobilise ses dons de parole et de persuasion, inaugurant sa méthode, faite d’écoute et de conciliation, en vue de trouver un compromis raisonnable. Sachons nous inspirer de lui, sachons être de fins briandistes, même dans les débats les plus passionnés.

En 1905, cléricaux et anticléricaux s’affrontent brutalement, deux France s’opposent, en apparence irréconciliables. C’est pourquoi le Concordat est devenu inapplicable.

Briand souhaite la Séparation, mais en douceur, de manière apaisée et négociée. Il discute avec les différentes tendances de la Chambre, il rencontre des ecclésiastiques, des évêques même, et réussit l’impossible : un texte adopté à une large majorité par les députés, voté conforme au Sénat, et qui s’applique encore aujourd’hui, cent dix-sept ans plus tard.

À la fin de la discussion, voici ce qu’Aristide Briand déclarait à ses collègues : « Hélas ! sous l’influence des passions politiques, les hommes ne sont parfois que trop portés à nier tout progrès qui ne s’affirme pas par une violence au détriment de leurs adversaires. Je tiens à le dire hautement : le progrès ainsi compris n’est pas dans ma manière. 

« J’ai compris autrement mon devoir. […]

« La loi que nous aurons faite ainsi sera une loi de bon sens et d’équité, combinant justement les droits des personnes et l’intérêt des Églises avec les intérêts et les droits de l’État… »

Ce discours final de Briand sur la laïcité est un triomphe, ses collègues en demandent l’affichage devant toutes les mairies de France. L’orateur, évoluant vers le centre, accédant bientôt à des responsabilités exécutives, 
n’a pas fini de les étonner.

Pendant trente ans, charmés par sa « voix de violoncelle », les députés le suivront dans de nombreux autres choix, dont le plus remarquable sera la première ébauche de la construction européenne.

Briand, qui se trouve à la tête du gouvernement pendant la bataille de Verdun, a conscience du formidable gâchis que représente une guerre entre grandes nations développées. La paix revenue, il domine la diplomatie française et, dix années durant, se consacre à la tâche courageuse du rapprochement franco-allemand.

Afin de garantir la paix, il patronne l’entrée de l’Allemagne à la Société des Nations et signe avec le Secrétaire d’État américain Kellog un pacte mettant la guerre « hors la loi ».

Et c’est ainsi que, pour la première fois dans cet hémicycle, une plaque commémorative va porter la mention : « Prix Nobel de la Paix ». Briand l’a reçu en 1926, conjointement avec son homologue allemand Stresemann. Et les deux hommes militent pour des « États-Unis d’Europe » … Dans quelques jours, ce seront cette fois deux femmes qui perpétueront l’amitié franco-allemande, puisque je recevrai Mme Bärbel Bas, Présidente du Bundestag.

La grande crise de 1929, la montée des nationalismes brisent le rêve précoce d’Aristide Briand. Celui-ci s’éteint juste à temps pour ne pas voir Hitler accéder au pouvoir en Allemagne et il faudra une seconde guerre mondiale, des millions de morts et des drames indicibles, pour s’apercevoir que c’était Briand qui avait raison : diplomatie, compromis, discussions apportent seules des solutions, tandis que la violence ne cause que des désastres.

Dans quelques jours, nous célébrerons l’anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l’État, promulguée le 9 décembre 1905. Cette date est depuis longtemps célébrée par les militants de la laïcité mais, depuis un an, conformément à la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République », elle est officiellement devenue Journée nationale de la laïcité.

Une laïcité à la française, qui permet à chacun de croire ou de ne pas croire, de changer de religion ou de n’en pas avoir, de douter des dogmes et de les critiquer, mais aussi de pratiquer son culte comme il l’entend, du moment que la liberté d’autrui est respectée.

Je rappelle les deux premiers articles de la loi de 1905, ils sont constitutifs de notre pacte républicain :

« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. 

« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

Dans ses modalités, la loi de 1905 a été plusieurs fois modifiée, elle n’est pas un texte sacré ; mais dans ses principes, elle est restée stable, ses deux premiers articles servant de piliers à notre conception de la laïcité républicaine.

Aujourd’hui plus que jamais, nous devons faire vivre cette laïcité à la française, nous devons en faire connaître et apprécier les avantages, nous devons en transmettre le sens aux jeunes Français, nos futurs citoyens. C’est la raison pour laquelle, demain, dans ce même hémicycle et pour la première fois, trois cents collégiens assisteront à une reconstitution du débat de 1905, sous la direction de Catherine Salviat, sociétaire honoraire de la Comédie-Française.

Puis j’échangerai avec eux, dans la galerie des Fêtes, sur la place de la religion dans la société, à l’école, à l’hôpital, au travail et dans l’espace public. La laïcité n’a de sens que si elle comprise et partagée : ni athéisme d’État, ni religion officielle, la France moderne a fait le choix de la liberté, y compris en matière confessionnelle.

Mesdames, messieurs, au nom de la représentation nationale, je veux dire notre gratitude commune à Aristide Briand, le conciliateur qui sut forger, par une loi durable, un consensus solide. 

Je le dis en présence de sa famille, de ses biographes, des représentants des différents cultes comme des militants de la laïcité qui se trouvent ici réunis : Aristide Briand a éclairé le chemin, nous devons à la fois suivre son exemple et inventer de nouvelles voies pour rassembler les Français autour de solutions pragmatiques, équitables et respectueuses de nos libertés.

Oui, Aristide Briand a droit à sa plaque dans cet hémicycle et je suis fière, aujourd’hui, de la dévoiler devant vous. Avec cette plaque, c’est aussi la loi de 1905 que nous honorons. Grâce à Briand, la laïcité est notre bien commun.

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