Discours à l'occasion de la clôture du colloque Chaban-Delmas

Lundi 16 septembre

Hôtel de Lassay
SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames, messieurs, cher Jean-Jacques Chaban-Delmas, cher Xavier Louy,

 

Il y a un demi-siècle, à l’Assemblée nationale, Jacques Chaban-Delmas inventait l’avenir.

Dans une France encore structurée par un bipolarisme politique, il invitait la droite à la générosité et la gauche à la modernité.

Dans le monde menaçant de la Guerre froide, il dessinait la voie d’une France redevenant ce modèle d’audace et de créativité qu’elle avait été aux heures glorieuses de son histoire.

Il est donc juste de rendre hommage à cet homme d’État volontaire et visionnaire que fut Jacques Chaban-Delmas et c’est pourquoi, ce soir, je suis particulièrement heureux de vous accueillir ici, à la présidence de l’Assemblée nationale.

Commencée dans l’immeuble qu’il avait fait construire et qui porte aujourd’hui son nom, cette journée se conclut en cet hôtel de Lassay dont il fut l’hôte et l’âme, à trois reprises, de 1958 à 1969, de 1978 à 1981 et de 1986 à 1988.

En 1969 justement, il quittait ces salons de la présidence de l’Assemblée nationale pour s’emparer de Matignon, et quand je dis « s’emparer », ce n’est pas une métaphore. Chacun de nous a en tête ces images d’un Premier ministre conquérant, plein d’ardeur, escaladant quatre à quatre les marches du pouvoir.

Avec toute l’énergie du tennisman qu’il était aussi, il tenta de réformer la France.

Mais Jacques Chaban-Delmas ne fut peut-être pas soutenu dans son projet autant que d’autres, depuis, ont pu l’être : ni à l’Élysée, ni dans sa propre majorité, le chantre de la Nouvelle Société ne trouva en 1969 les appuis et les encouragements dont il aurait eu besoin pour triompher d’un certain nombre de conservatismes et d’attentismes.

Quel dommage, et que de temps perdu pour la France finalement.

Car ce que voulait Jacques Chaban-Delmas, il y a cinquante ans jour pour jour, c’était d’abord de faire décoller la France, pour qu’elle entre de plain-pied dans l’ère nouvelle de l’économie ouverte et du progrès technologique.

Bien sûr, le résistant qu’il était saluait l’effort de reconstruction entamé depuis la Libération et la renaissance d’une industrie française. Mais le politique, en pleine euphorie des Trente Glorieuses, était aussi le premier à discerner les limites et les fragilités du modèle, qu’il appelait à dépasser.

En effet, déclare-t-il d’emblée aux députés réunis dans l’hémicycle, et je veux citer ce constat d’une extraordinaire lucidité en 1969 : « l’ouverture toujours plus large des frontières, la compétition plus vive qui en découle, nous commandent des changements profonds d’objectifs, de structures, de moyens, de même, et peut-être surtout, de mentalité ».

Le commerce mondial reste très cloisonné à l’époque, la Communauté  économique  européenne ne compte que six États-membres quand il s’exprime, mais déjà, par une belle hauteur de vue, Jacques Chaban-Delmas alerte ses contemporains sur le défi naissant de ce qu’on appelle aujourd’hui « la mondialisation ».         

Cet homme classé à droite, mais qui était passé par le radicalisme et fut ministre de Pierre Mendès France sous la IVe République, propose donc à sa majorité un programme inattendu : « Nous engager à fond dans la voie du changement » est une nécessité pour lui, une nécessité d’intérêt général. Sinon, dit-il, « nous risquerions de ‘‘décrocher’’ durablement par rapport aux grands pays voisins ». Un avertissement vaut toujours pour nous, en 2019.         

Pour lui, « la conquête d’un avenir meilleur pour tous justifie à elle seule tous les efforts, tous les changements ». De là ce programme ambitieux, tonique, qu’il résumera d’une formule historique : « C’est la transformation de notre pays que nous recherchons, c’est la construction d’une nouvelle société, fondée sur la générosité et la liberté. »         

Oui, Jacques Chaban-Delmas voulait ce que nous sommes nombreux à vouloir, « une société qui au lieu de brider les imaginations, leur offre des possibilités concrètes de s’exercer et de se déployer ».

Une société qui donne ses chances à la jeunesse, qui mise sur l’éducation, la formation et l’innovation – quitte à prononcer les mots qui fâchent à l’époque : « autonomie », « décentralisation », respect des « particularités » et respect des « différences »…

Au lendemain de Mai-68, ces concepts ne furent pas perdus pour tout le monde. Le nouveau Parti socialiste, à Épinay, en 1971, saisit au vol un certain nombre de ces ambitions réformatrices, tandis que Valéry Giscard d’Estaing, en 1974, en intégrait d’autres dans son projet de « société libérale avancée ».

Chaban, d’une certaine manière pillé, dépouillé de son programme, restait pourtant une référence, sans doute pour son équation personnelle, son expérience, qui lui dictaient aussi une méthode.

« Nous devons aussi apprendre à mieux respecter la dignité de chacun », rappelait-il en un temps où la France se complaisait dans les affrontements idéologiques ; « enfin – et c’est là l’essentiel – nous devons reprendre l’habitude de la fraternité, en remplaçant mépris et indifférence par compréhension et respect ».

Et il ajoutait : « Ce n’est pas en vain que j’ai parlé de concertation permanente. J’entends par là que le Gouvernement est disposé à écouter, à dialoguer, à discuter. »

Enthousiaste mais pragmatique, il avait conscience que le passage à la Nouvelle Société ne se ferait « pas en un jour »…

Car, comme il le disait avec cet humour pince-sans-rire qui lui était propre : « On me dira qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance des forces de résistance au changement. Je le sais bien. Il y a un conservateur en chacun de nous, et ceci est vrai dans chacune des tendances de l’opinion, y compris celles qui se réclament de la révolution. » Comme il avait raison !

Permettez-moi, à ce stade de mon propos, une anecdote personnelle. Nul n’est parfait, vous le savez, et je dois vous confesser avoir été journaliste dans les années 80.

À l’occasion d’un livre consacré à la communication des collectivités locales, j’avais eu l’honneur d’interroger le Président Chaban-Delmas qui m’avait alors accordé un entretien dans l’immeuble qui porte son nom.

Réellement intimidé voici 30 ans, j’ignorais comment aborder cette prestigieuse personnalité.

Je fis le choix, un peu incongru, de lui faire connaître mes origines du Sud-Ouest et de lui déclarer ma passion pour le rugby. Ce qui me valut un long échange jusqu’à ce que son collaborateur de cabinet vienne nous indiquer que l’entretien était terminé, alors même que je n’avais pas posé la première des questions prévues.

Étonné et rieur, le Président Chaban-Delmas me lança alors : « Devions-nous parler de rugby ? C’était cela, l’ordre du jour ? »

Rouge de confusion, je lui indiquai que je voulais qu’il me parle de la communication et de la publicité que faisaient alors les collectivités locales pour faire valoir leurs atouts.

Il me répondit, à moi comme à son collaborateur, que ce sujet méritait qu’on s’y attarde un peu… au grand dam du gestionnaire de son agenda, qui m’a alors fusillé du regard.

De cet entretien que j’ai relu ce matin, il ressort à ses yeux d’une part que « la concertation locale impliquait que les collectivités communiquent un peu comme le ferait un chef d’entreprise et que d’autre part, la concurrence entre les territoires exigeait le recours à la publicité. »

Permettez-moi de vous dire qu’il fallait une réelle vision et une authentique liberté de parole pour oser, à cette époque dire les choses aussi nettement, quand d’autres y voyaient encore des incongruités.

Ce grand maire qui fut aussi président du conseil régional d’Aquitaine, cet homme d’État, ce visionnaire, pourquoi ne pas le dire aussi, a été attaqué, sali. C’est le lot, je crois, de tous ceux qui veulent faire bouger les lignes. Mais l’Histoire a retenu autre chose. L’Histoire a retenu la vision politique, la justesse de l’analyse, l’intelligence des moyens et le brio du verbe.

Et l’Histoire, c’est vous, c’est nous qui lui faisons écho par cette journée d’échanges et d’hommage au grand homme qui, à Bordeaux, à Lassay et à Matignon, fit entrer une part de rêve dans l’action publique.

Ce rêve d’une société libérée de ses archaïsmes, ce rêve d’une France toujours à la pointe du progrès « visant à la fois l’éducation permanente et le libre accès à l’information, la transformation des rapports sociaux et l’amélioration des conditions et de l’intérêt du travail, l’aménagement des villes et la diffusion de la culture et des loisirs », ce rêve, toute notre action de législateurs consiste à essayer d’en faire une réalité.

« Quelle exaltante entreprise ! » s’exclamait Chaban à la tribune. Montrons-nous à la hauteur de son inspiration et ainsi, à défaut de « Nouvelle Société », c’est un monde plus fraternel que nous lèguerons à nos enfants.

Je vous remercie.

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