Grand Dîner 2025 de la Fondation Le Refuge

Lundi 13 octobre

Paris, Palais de Tokio
Seul le prononcé fait foi

Mme la Haute-Commissaire à l'Enfance, chère Sarah El Haïry,

M. le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT+, cher Mathias Ott,

M. le Président du Refuge, cher Michel Suchod,

M. le Directeur général du Refuge, cher Pacôme Rupin,

Madame la ministre, chère Frédérique Bredin,

M. le Président du directoire du Groupe SOS, cher Jean-Marc Borello,

Mesdames, messieurs,

« Mon père m’a dit : tu prends tes affaires et tu pars. Me voir avec un garçon le dérangeait beaucoup. Je me suis retrouvé à la rue, avec mes valises devant moi. J’ai pris mon téléphone. Et j’ai appelé Le Refuge. C’était le soulagement. Je me suis dit : je vais avoir un toit. »

Cette voix, c’est celle de Guillaume. 

L’une des 3 610 voix qui, l’an dernier encore, ont appelé Le Refuge au secours.

Une voix de notre jeunesse, brisée par ceux-là mêmes qui auraient dû la protéger. 

Une voix qui nous oblige, nous engage, et nous rassemble ce soir.

Depuis 2003, la Fondation Le Refuge apporte bien plus qu'un toit. Pour des milliers de jeunes en détresse, c'est une écoute salvatrice, 24 heures sur 24. C’est une main qui accompagne, une place trouvée dans l'urgence. C'est la promesse d’une nouvelle vie, où l’on se sent aimé pour qui on est. Et pour qui on aime. 

Et tout cela, cher Michel Suchod, cher Pacôme Rupin, chères équipes du Refuge : tout cela, c'est grâce à vous.  Du fond du cœur, je tenais à être parmi vous pour vous adresser ces deux simples mots : merci et bravo. 

Votre action, votre dévouement, sont l'exemple même de cette société de l'engagement dont notre pays a tant besoin. 

Certes, face aux drames qui traversent notre pays, l’État, la puissance publique, doivent prendre leur part et porter fièrement les valeurs de solidarité, de respect et de progrès. Et je voudrais ici saluer l’action, chère Sarah El Haïry, du Haut-commissariat à l’enfance et, cher Mathias Ott, de la DILCRAH.  

Mais c'est la Présidente de l'Assemblée nationale qui vous le dit : tout ne peut pas reposer uniquement sur la puissance publique, sur la loi, sur les élus. Car la bataille contre la haine et les préjugés se gagne avec toute la société. 

Par l’engagement de chacun, sur le terrain.

Par l'action des associations comme la vôtre. 

Par la générosité des donateurs, vous qui êtes présents ce soir et que je salue chaleureusement. 

Par le courage de chaque citoyen.  

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Cette mobilisation citoyenne, en réalité, c'est le visage même de notre République en action. 

C’est le cœur battant de notre histoire humaniste.

Une histoire dont les racines plongent à la Révolution française, lorsqu’en 1791, l'Assemblée nationale législative abolit, pour reprendre la terminologie de l’époque, le « crime de sodomie » qui condamnait au bûcher l’homosexuel. 

Une histoire qui remonte aussi à 1981. Le 20 décembre de cette année-là, un grand homme qui repose désormais au Panthéon, Robert Badinter, défendit à la tribune de l'Assemblée nationale une autre abolition : celle d’une loi infâme, héritée de Vichy, qui discriminait selon la nature de l'amour.

La voix de Robert Badinter résonne encore : écoutons-la.

« L’Assemblée [nationale] sait quel type de société, toujours marquée par l’arbitraire, l’intolérance, le fanatisme ou le racisme, a constamment pratiqué la chasse à l’homosexualité. Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d’un grand pays de liberté comme le nôtre. Il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels, comme à tous ses autres citoyens dans tant de domaines. »

Aujourd'hui encore, entendons cet appel de Robert Badinter à « prendre conscience ».

Prendre conscience qu'en France, en 2025, des adolescents sont encore brimés, harcelés, violentés, jetés à la rue au seul motif d’être eux-mêmes. 

Je le dis avec mes tripes et comme mère de cinq enfants : l'idée qu'un parent puisse mettre son enfant à la porte pour ce qu'il est, me heurte au plus profond de mon être. C'est une réalité que je ne peux même pas concevoir, une faillite morale qui me répugne et me révulse.

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Et pourtant cette faillite est une réalité, partout dans le pays.

Quand un jeune finit à la rue, c'est toujours un échec collectif : celui de la société, de l'État et de l'Aide Sociale à l'Enfance, dont une commission d’enquête parlementaire a récemment analysé les manquements accablants. Vous les connaissez mieux que quiconque au Refuge, vous qui accueillez tant de jeunes naufragés de l’ASE.


Consciente de ces failles, j’ai pris l'initiative d'adresser une lettre au Premier ministre, afin que les recommandations transpartisanes de cette commission d'enquête soient intégralement appliquées. 

Et je peux vous l’assurer : quelles que soient les secousses politiques, nous continuerons à agir, sans relâche, pour qu'aucun enfant de France ne soit laissé sur le bord du chemin.

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Cette exigence est d'autant plus vive alors que des vents mauvais soufflent contre les droits des personnes LGBT+.

Les chiffres sont là, implacables : depuis 2016, le nombre de plaintes déposées suite à des actes anti-LGBT+ a augmenté d’environ 15 % par an.

C’est certes le signe que les personnes osent de plus en plus porter plainte. Mais c'est aussi le signe que la haine homophobe est loin d’avoir disparu – en France, comme dans le monde.

Car partout, et y compris dans de vieilles démocraties européennes, l’internationale réactionnaire est à l’offensive.

De l’autre côté des Alpes, un gouvernement qui a pourtant bonne presse en France, a fait de la GPA un « crime universel » et veut jeter les parents d’enfants nés ainsi en prison. 

Regardons aussi vers la Slovaquie, où le Parlement vient d’adopter une révision constitutionnelle anti LGBT+, restreignant strictement les possibilités d’adoption et de changement de genre. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai justement interpellé mon homologue slovaque, pour lui rappeler les vives préoccupations de la France sur le respect des droits et de nos valeurs européennes.

Regardons vers la Hongrie, où les marches des fiertés sont interdites.

Regardons vers ces 64 pays dans le monde où l’homosexualité est toujours un délit ou un crime. Avec des régressions récentes et dramatiques, notamment au Burkina Faso, au Mali, ou à Trinité-et-Tobago.

Face à cette offensive réactionnaire, la France, la Nation des droits humains universels, doit être aux côtés de tous ceux qui sont opprimés et condamnés.

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Oui, plus que jamais, pour porter nos valeurs haut et fort, nous avons besoin d'un pôle progressiste qui s'assume comme tel, déterminé à assurer l’égalité des droits pour toutes et tous.

Ce pôle, nous sommes fiers de l’avoir incarné, depuis 2017, à l'Assemblée nationale, en menant des combats essentiels.

Nous avons ouvert la PMA à toutes les femmes. Il était grand temps.

Nous avons mis fin à la discrimination dans le don du sang : là aussi, il était plus que temps.

Nous avons aussi facilité l’adoption pour les couples de même sexe. Elle fut ouverte, je ne l’oublie pas, en 2013, au terme d’une discussion parlementaire singulière qui a suscité de l’espoir et une immense émotion - mais aussi libéré, dans la société, une vague d'homophobie et de souffrance... 

Enfin, nous avons interdit les barbares thérapies de conversion. Et si sur ce point, la proposition de loi de Laurence Vanceunebrock, que je salue, a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée, souvenons-nous que les parlementaires européens du RN se sont opposés, en 2018, à une résolution sur ce sujet pourtant gravissime.   

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Alors oui, même si beaucoup de progrès ont été accomplis, il nous faut rester vigilant. Et continuer à avancer. 

Nous devons notamment sécuriser le financement de l'hébergement d'urgence ; mieux accompagner la santé mentale de ces jeunes aux cicatrices invisibles ; et lutter avec fermeté contre la transphobie.

En réaffirmant toujours, avec force et fierté, les valeurs de notre devise républicaine :

La Liberté d'être soi, pleinement et sans peur. 

L'Égalité, dans l’amour et dans les droits. 

Et la Fraternité, celle incarnée par Le Refuge.

Cette fraternité-là est universelle. Elle a traversé les frontières, portée par des figures devenues des icônes du courage. 

Et je conclurai par l’une d’entre elles : Harvey Milk, le premier homme politique ouvertement gay élu dans une grande ville américaine. Depuis San Francisco, en 1977, son "discours de l'espoir" a défini une promesse que la Fondation Le Refuge fait vivre pour des milliers de jeunes, je cite Harvey Milk :

« Vous devez donner [aux jeunes homosexuels] de l’espoir. L'espoir d'un monde meilleur, l'espoir d'un avenir meilleur, l'espoir d'un endroit meilleur où aller si la pression à la maison est trop forte. L'espoir que tout ira bien. »

Et il concluait ainsi : « Et vous, et vous, et vous, vous devez donner de l'espoir aux gens. »

Cet espoir, ce soir, c'est vous, c'est nous. 
 

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