Hôtel de Lassay
^{Seul le prononcé fait foi}

Madame la Présidente de la Commission nationale du Débat Public et Présidente du Jury des Trophées, chère Chantal Jouanno,
Monsieur le président, cher Bertrand Pancher,
Madame la vice-présidente, chère Caroline Janvier,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames, messieurs,

Je suis tout particulièrement heureux de vous accueillir en cette galerie des Fêtes de l’hôtel de Lassay, pour saluer et fêter les lauréats, présents nombreux dans la salle, des Trophées de la participation et de la concertation.

Et puisque vous avez placé une citation de Winston Churchill en exergue de votre appel d’Amiens – « Imaginons ensemble la démocratie de demain » –, permettez-moi de citer ce bougon Premier ministre britannique qui parlait du succès et donc des prix en ces termes : « Le succès, c'est aller d'échec en échec sans perte d'enthousiasme. »

Et il faut assurément cultiver l’enthousiasme, depuis quinze ans, au sein de « Décider ensemble », votre think tank de la participation. Car c’est un des apparents paradoxes, les dispositifs de participation et de concertation sont de plus en plus nombreux, de plus en plus pratiqués mais on ne peut pas pour autant conclure qu’ils volent de succès en succès.

Et la démocratie représentative n’a pas à se délecter des difficultés de la démocratie participative, loin de là, car elles vont de pair, y compris dans la vague de scepticisme qui secoue notre démocratie tout court.

Je suis inquiet de l’antiparlementarisme et j’ai décidé de l’étudier, de le quantifier avec des politistes et des sondeurs. 

Mais je m’inquiète aussi du déclin du militantisme, dans les partis politiques, dans les syndicats et même dans les associations.

Au premier semestre de cette année, l’INSEE publiait une étude sur l’état de la vie associative en 2018, soit avant la pandémie de Covid. Par rapport à 2014, cette étude constatait une baisse de 7 % du nombre de participations bénévoles, partiellement compensée par une hausse du salariat.

Je suis inquiet aussi de la très faible participation à travers nos outils de débat public et de concertation. Je sais l’immense travail qui est fait par la Commission nationale du Débat Public et je lis aussi les nombreuses critiques qui sont faites aux élus en général et à la majorité en particulier.

Pas ou peu de concertation tue assurément des projets. Mais il ne serait pas tout à fait absurde de dire que trop de concertation peut aussi en étouffer certains. Ce qui est rageant quand ce sont des projets vertueux.

Les oppositions frontales que nous connaissons sur un grand nombre de sujets montrent – paradoxalement – qu’un grand nombre de citoyens veulent prendre part aux décisions. C’est une chance pour notre démocratie, à la condition, toutefois, de parier sur l’intelligence collective et de construire inlassablement les outils et processus de dialogue nécessaires.

Mais nous savons aussi que se développent des spécialistes de ces processus de concertation et de participation, les « rebelles » pour reprendre l’expression du sociologue Francis Chateaureynaud. Ils arrivent parfois à bloquer les concertations, ou à les réduire à un match entre « pro » et « anti ». Ce n’est plus alors de la concertation, mais de la boxe : un noble art sans doute, mais peu adapté à la prise de décision concertée.

Depuis 15 ans – et c’est l’âge de Décider ensemble –, la concertation s’est développée, s’est professionnalisée, elle bascule même dans la technique avec le développement des « civic tech ». Est-ce que le dialogue a pour autant progressé ? Vaste question que je me garderai bien de trancher.

Soyons collectivement vigilants à ce que la démocratie délibérative s’appuie toujours sur trois principes, développés par Loïc Blondiaux dans le rapport annuel de la CNDP. Permettez-moi de le citer longuement.

« Le premier est un principe d’inclusion : chacun, chacune, influent ou non, est susceptible de pouvoir s’y exprimer et de se faire entendre dans des espaces de discussion ouverts à toutes et tous par principe. Le pouvoir d’influencer la décision n’est pas réservé à quelques-uns, ce qui est l’essence même de la démocratie. 

« Le deuxième est un principe d’argumentation : il s’agit de faire en sorte que puisse être établie la cartographie la plus exhaustive possible des arguments en faveur ou à l’encontre du projet. 

Cette possibilité, sans laquelle l’intelligence collective ne peut pas s’exercer, renforce la rationalité du processus de décision. 

« Le troisième est un principe de transparence : les motivations du projet et les conditions de son adoption doivent pouvoir être lisibles et compris de toutes et tous. »

Ces principes sont d’ailleurs à l’œuvre ici-même, à l’Assemblée nationale. Chaque député, en effet, a la possibilité de s’exprimer. Tous les arguments, pour et contre, sont développés, parfois longuement et même, je vous en fais l’aveu, trop longuement. Et ce en toute transparence : étude d’impact, publicité des débats et des votes.

À l’Assemblée, comme chez vous, nous le savons toutes et tous, cette éthique du débat, cette transparence, n’emportent pourtant pas la conviction de nos concitoyens. Je ne crois pas que réformer, encore et encore les modalités de débat de notre Assemblée, suffirait à enrayer l’abstention.

La question centrale, de mon point de vue, paraît davantage la mobilisation du citoyen dans le politique t dans les lieux collectifs de la démocratie que le procès des élus : il s’agit de dépasser une vision de la démocratie comme un ensemble de procédures pour en faire une valeur mobilisatrice à travers un projet à construire. 

Fondée sur les réflexions qui se développent dans le champ des sciences politiques et administratives, parallèlement la mise en œuvre de pratiques participatives, la période électorale à venir devrait mettre en valeur l’importance d’un débat public plus actif, plus ouvert et plus authentique. Lui seul peut donner sens à cette implication citoyenne qui, loin de s’opposer au mandat électif, lui fournirait de nouveaux appuis.

Votre présence ici, ce soir, témoigne de votre implication. Vous êtes, nous sommes une avant-garde de la participation citoyenne. Il nous reste à mobiliser de plus en plus largement, pour faire avancer encore le débat public.

Bon anniversaire à Décider Ensemble, longue vie à votre think tank. Pour les 15 nouvelles années qui se présentent, je vous suggère sur ces sujets de la participation et de la concertation de faire vôtre la devise d’une ville chère à votre co-président, Bertrand Pancher, je veux parler de Bar-le-Duc, préfecture de la Meuse. La devise est : « Plus penser que dire. »

Sur la participation, il y aurait beaucoup à dire, mais il y a encore plus à penser, voire à repenser. Nous sommes là pour ça !

Bonne soirée à toutes et tous et mes félicitations, par avance, aux lauréats et lauréates de vos Trophées.

Je vous remercie.