Travaux parlementaires en période de crise

​​​​​​​Mercredi 13 mai 2020

Mes chers collègues,

Je suis heureux de vous retrouver, ce matin, pour la première réunion du groupe de travail chargé d’anticiper le mode de fonctionnement des travaux parlementaires en période de crise.

J’avais souhaité, conformément aux règles adoptées lors du dernier Bureau, que nous puissions nous réunir physiquement, compte tenu de l’importance de nos travaux. Je vois bien que la restriction de l’hémicycle a conduit à accroître l’envie des députés d’être présents au Palais Bourbon, mais je ne voudrais pas que l’accès désormais élargi conduise certains à le déserter.

Parce que je ne souhaitais que personne ne puisse être absent aujourd’hui, j’ai décidé de faire un amendement à nos pratiques par l’ajout d’une visioconférence.

Comme vous le savez, la Conférence des présidents a décidé, sur ma proposition, d’ouvrir cet espace de discussion souple et transpartisan pour nous permettre de débattre de la capacité de l’Assemblée à faire face aux situations exceptionnelles, comme celle que connaissons depuis plusieurs semaines.

Nul besoin de revenir longuement sur l’ampleur du choc qui a affecté notre pays et nos concitoyens sans épargner la vie parlementaire et démocratique.

Cette crise inédite a été évidemment perturbante pour le fonctionnement de nos institutions. Personne ne peut se réjouir, moi le premier, de voir nos bancs clairsemés, notre activité dégradée, surtout dans une période où le rôle de contrôle du parlement est essentiel.

Mais nos institutions ont « tenu », révélant des ressources et des atouts dont nous pouvons être fiers, incluant le maintien d’une vie parlementaire aussi dense que le permettent les circonstances à laquelle chacun des membres de cette assemblée a puissamment contribué. Je tiens à leur exprimer mon admiration et ma reconnaissance.

Sans doute, nous ne partions pas de rien.

Contrairement à l’image que certains se plaisent parfois à lui donner, l’Assemblée n’est pas une institution coupée du monde, insuffisamment au fait des nouvelles technologies, dans laquelle prévaudraient des règles archaïques peu compatibles avec les exigences d’efficacité, d’écoute et de transparence auxquelles aspireraient nos concitoyens.

Sur le plan de la transparence, beaucoup de travail a été fait. Je me contenterai d’évoquer ici la qualité de notre site, unanimement saluée, et, plus récemment, le fait que l’Assemblée a pleinement joué le jeu de la mise en OpenData de ses données.

Au chapitre de l’écoute, j’évoquerai la multiplication des consultations citoyennes en ligne et le lancement prochain d’une plateforme de pétition en ligne, associée à leur meilleure prise en compte dans les travaux parlementaires, comme le prévoit la réforme du Règlement récemment adoptée.

En ce qui concerne nos méthodes de travail, nous avons connu ces derniers temps, il faut le reconnaître, une petite « révolution silencieuse ».

Nombreuses sont les procédures qui étaient déjà dématérialisées bien avant que ne survienne cette crise, qu’il s’agisse, par exemple, du dépôt des amendements, des contributions ou des questions écrites, au moyen d’applications dédiées.

Plus généralement, la dématérialisation des procédures et des documents parlementaires a connu un développement continu au cours des dernières années.

Je clôturerai ce point en évoquant les moyens mis à la disposition du député, notamment les espaces de travail virtuels qu’offre notre site intranet et qui facilitent grandement la vie de nos collègues en dehors de l’enceinte de l’Assemblée.

Au cœur de la crise, nous avons su mettre en œuvre un processus d’adaptation rapide et novateur au numérique sur lequel je voudrais m’arrêter un instant.

En quelques jours, l’Assemblée a accompagné techniquement 700 fonctionnaires et contractuels pour leur permettre de poursuivre leurs activités en télétravail.

Elle a réalisé une véritable « première » avec une mission d’information assurant le suivi de la crise et des commissions en visioconférences publiques, le cas échéant télédiffusées.

Elle a mis à disposition des commissions des outils technologiques leur permettant de continuer à assumer leurs compétences en matière de contrôle, et je tiens à remercier leurs présidentes et présidents pour leur implication, mais aussi pour leur compréhension face aux difficultés auxquelles, parfois, ils ont pu être confrontés.

Elle a aussi engagé des avancées pérennes sur la sécurité numérique avec la mise en œuvre d’outils de visioconférence ou de messagerie instantanée nationaux et sécurisés, pour les échanges confidentiels.

Je tiens, à cet égard, à saluer l’effort fourni par les services de l’Assemblée, qui ont œuvré dans des délais extrêmement contraints à ces adaptations.

En outre, un travail continu de mise à niveau se poursuit à l’initiative des Questeurs pour doter à l’avenir notre institution de dispositifs de travail à distance et allouer aux personnels des équipements adaptés ainsi que pour élargir les possibilités de visioconférence.

Ces mesures ont contribué, à leur niveau, à la mise en œuvre des décisions du Bureau, des Questeurs et de la Conférence des présidents, de donner à l’Assemblée les moyens, dans une situation inédite, de continuer à assurer ses fonctions constitutionnelles, au premier rang desquelles le contrôle de l’action gouvernementale et la discussion des textes requis par l’urgence.

Mais il est vrai que l’Assemblée nationale, avec la crise que nous traversons, et qui pose des défis inédits, n’a pu – et ne peut plus – se reposer sur ces seules avancées.

Je n’ignore pas non plus que certains de nos collègues souhaitent légitimement que l’Assemblée aille plus loin, plus vite et plus fort.

Plusieurs d’entre eux m’ont ainsi fait part de leurs réflexions et, parfois, de leurs propositions, appelant, par exemple, à la généralisation des visioconférences pour les travaux parlementaires, qu’il s’agisse des commissions voire des séances publiques, ou à l’instauration d’une procédure de vote à distance.

Je comprends l’intérêt pour de telles évolutions mais ces sujets, pour passionnants qu’ils soient, sont aussi éminemment complexes, en raison de la pluralité des enjeux qu’ils recouvrent. Ils ne tolèrent ni improvisation, ni précipitation.

À cet égard, j’ai suivi avec une attention toute particulière, depuis plusieurs semaines, ce qui se passe dans de nombreux parlements nationaux, notamment ceux de l’Union européenne.

La plupart ont adopté des modalités d’organisation similaires aux nôtres, en recentrant le Parlement sur ses fonctions essentielles et en développant les visioconférences et le travail à distance, sans pour autant opter pour le grand saut vers un Parlement entièrement dématérialisé.

D’autres, minoritaires, ont été plus loin en mettant en place des procédures un peu plus innovantes, je pense notamment au Parlement européen. Je prends note de ces exemples stimulants, mais j’observe que le plus souvent ils s’inscrivent dans des contextes politiques, institutionnels et procéduraux radicalement différents des nôtres, ne seraient-ce que la fréquence et la nature des votes qui s’y déroulent.

J’observe aussi que des assemblées emblématiques comme le Bundestag, la chambre des représentants aux États-Unis, ou encore la chambre des communes du Canada, n’ont, par exemple, pas retenu, dans la crise actuelle, le vote à distance et ce pour de multiples raisons.

En somme, si l’Assemblée n’a pas à rougir de la gestion de la crise au regard de son fonctionnement et de ses méthodes de travail, ce constat ne saurait nous exonérer de nos responsabilités face à l’avenir.

Oui, nous devons nous doter des moyens d’anticiper les conséquences que pourrait engendrer un nouveau choc qui frapperait notre pays, l’Europe et le monde.

Crises sanitaires d’abord. De ce point de vue, je souhaite que vous puissiez travailler avec une double focale. D’abord celle du court terme, sur la crise que nous vivons actuellement, qui n’est pas terminée, et qui nous réserve bien des inconnues : comment travaillerons-nous en cas de pic épidémique ?

A l’inverse, comment nous adapterions nous si la situation sanitaire actuelle nous conduisait à maintenir de longs mois une situation présentielle « dégradée » ?

Ensuite celle du long terme, De nouvelles crises sanitaires ne sont naturellement pas à exclure. Nous sommes, hélas, trop conscients désormais que ce scénario ne relève pas de la science-fiction…

Mais je pense que nous devons voir large. Ne pas restreindre vos travaux à la seule crise sanitaire. Il faut aussi penser aux conséquences de catastrophes naturelles de grande ampleur, à des crises environnementales, énergétiques ou technologiques qui mettraient gravement en péril nos systèmes de fonctionnement courant : par exemple une crue de la Seine, comme en 1910, qui rendrait nos locaux inaccessibles, ou encore une attaque informatique qui ferait « tomber » nos réseaux….

L’enjeu, si un tel événement venait à survenir, ne sera pas très différent de celui auquel nous sommes confrontés : permettre la poursuite de la vie démocratique, ce qui signifie, pour l’Assemblée nationale, assurer la continuité de l’exercice de ses missions constitutionnelles.

Pour mener à bien ce travail de réflexion, d’anticipation, mais aussi de propositions concrètes, la Conférence des présidents a créé le groupe de travail pour lequel nous sommes aujourd’hui rassemblés.

Je tiens à insister sur un point.

L’idée n’est pas de réfléchir à la mutation complète de nos règles de fonctionnement en temps normal, c’est-à-dire d’imaginer un « Parlement virtuel », même si le travail que vous allez mener pourra naturellement alimenter certaines évolutions de nos méthodes habituelles de travail. J’ai conscience que nous ne reviendrons pas sur des acquis comme l’utilisation fréquente des visioconférences ou le recours accru au télétravail.

Dans mon esprit, l’objectif est à la fois plus précis, plus complexe et plus sensible.

Nous devons impérativement nous doter d’un « corpus d’urgence » – que d’aucuns pourraient qualifier d’« État d’urgence parlementaire » – permettant de faire face, dans des délais extrêmement brefs –  bien plus, en tout cas, que ceux expérimentés lors de la crise actuelle – aux situations exceptionnelles.

Certes, des modalités héritées de l’histoire et toujours en vigueur existent pour tenir séance en cas de circonstances exceptionnelle : je pense par exemple aux comités secrets ou au régime de la loi Tréveneuc.

Mais ces modalités d’exception, qui requièrent la présence physique des parlementaires, ne sont guère opérationnelles en période de pandémie par exemple ; elles peuvent présenter un certain intérêt en cas de conflit armé ou de troubles politiques, et c’est pourquoi elles doivent être prises en compte dans le débat.

En somme, pour dire les choses de manière un peu triviale, quel processus pourrait être « dégainé » en temps de crise pour être immédiatement mis en œuvre ?

Qu’on me comprenne bien : il ne s’agit pas seulement de disposer d’une « boîte à outils technologiques » ; il s’agit, dans des circonstances exceptionnelles, de permettre à notre assemblée de continuer à œuvrer pleinement au service de nos concitoyens conformément à ses missions constitutionnelles. C’est, en effet, à ce moment que l’exigence démocratique devient encore plus prégnante.

Derrière cette question essentielle pour le bon fonctionnement de notre démocratie, les défis sont nombreux.

Ils sont d’abord juridiques car toute évolution des pratiques en temps de crise ne saurait ignorer les exigences organiques et constitutionnelles qui s’imposent à nous.

Dans ces conditions, il sera impératif d’identifier l’ensemble des modifications précises devant apportées aux textes qui nous régissent et qui ne peuvent être précipitées.

Ces défis sont aussi techniques. S’agissant des outils numériques, ils portent notamment sur la sécurité absolue des modes de fonctionnement à distance, une condition indispensable pour préserver le caractère incontestable de la loi et la confiance des citoyens dans leurs institutions. Nous avons tous à l’esprit, par exemple, le récent piratage dans le cadre des primaires démocrates.

Ces défis sont également d’ordre organisationnel, car ils concernent nos conditions de travail au jour le jour et la préservation du travail collectif. Ils portent en outre sur l’organisation de notre administration qui doit pouvoir faire preuve de toute l’agilité nécessaire.

Ces défis sont enfin, et peut-être surtout, d’ordre « philosophique », et donc politique.

Comment préserver les spécificités de notre démocratie parlementaire, compte tenu – vous le savez mieux que quiconque – des multiples échanges que favorise notre présence commune au Palais Bourbon.

En d’autres termes, comment entretenir la délibération, le compromis, l’expression de la conviction, voire de la passion, qui sont le sel et la richesse du travail parlementaire.

Voudrions nous, par exemple, dissocier débats et votes comme le fait le Parlement européen ? Accepterions-nous de voir voter des collègues qui ne participeraient pas au débat ?

Autant de questions auxquels il faudra pouvoir apporter des réponses complètes et opérationnelles.

Car si ce groupe de travail aura toute latitude pour effectuer toutes les recommandations qu’il jugera pertinentes, il devra aussi – permettez-moi d’insister – partager et prendre en compte toutes les complexités : chaque solution proposée devra apporter des réponses exhaustives aux différents enjeux.

Mes chers collègues, je tenais à vous faire part de ces éléments qui, dans l’esprit de la décision de la Conférence des présidents, pourront permettre de définir la feuille de route de ce groupe de travail qu’il vous appartiendra d’arrêter.

Il me semble que le début de la session ordinaire pourrait constituer l’échéance pour l’établissement de ses conclusions. Ce calendrier me paraît raisonnable tout en permettant un travail approfondi.

J’émets le vœu que vous puissiez aborder sans préjugés cette question de la continuité parlementaire face aux crises, dans une démarche volontariste et transpartisane, ouverte sur les meilleures pratiques, tant en France qu’à l’étranger.

C’est dans cet esprit que notre collègue Sylvain WASERMAN, vice-président de l’Assemblée, a accepté de présider le groupe de travail. Il saura, j’en suis certain, se montrer à l’écoute de l’ensemble des préoccupations et des sensibilités.

Pour conclure, tiens à saluer la composition du groupe de travail, qui reflète la diversité politique de notre assemblée et la richesse des profils et des expériences de ses membres, en remerciant les présidents de groupe, les Questeurs et les deux vice-présidents associés de leur participation.

 

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