Vœux de Richard Ferrand aux parlementaires et aux corps constitués

Mardi 14 janvier

Hôtel de Lassay
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Président du Sénat,
Mesdames et messieurs les membres du Gouvernement,
Madame et messieurs les Présidents de groupe parlementaire,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,
Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental,
Monsieur le Premier Président de la Cour des comptes,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,

C’est avec un sincère plaisir que j’ai l’honneur de réunir en cette galerie des Fêtes les corps constitués de la République, pour leur adresser mes vœux.

On ironise parfois sur les cérémonies des vœux et on a tort, car cette tradition n’aurait pas survécu si elle n’était tout à la fois sympathique et utile.

J’ai choisi les détours de l’histoire pour respecter avec joie cette convention qu’est une cérémonie de vœux.

Certes, c’est une convention, mais tout n’est-il pas convention dans les cultures humaines, à commencer par la graduation du temps et le calendrier ?

Ainsi, dans l’ancienne Rome, l’année commençait en mars, et c’est à Jules César que nous devons l’idée bizarre de la faire débuter en janvier ; puis le pape Grégoire XIII déplaça de onze jours la date du premier de l’an, sans s’effrayer qu’il faille préalablement passer, en une nuit, du 4 au 15 octobre 1582. Deux réformes qui, en ces temps archaïques, passèrent sans concertation ni vote, sans amendement ni navette.

Quand vint la Révolution française, ces décisions arbitraires d’un empereur et d’un pape semblèrent insupportables et le député de Paris Fabre d’Églantine imagina donc un calendrier fondé en raison, calé sur le rythme des saisons : l’année commençait dans la fraîcheur de vendémiaire, autrement dit en septembre, pour l’anniversaire de Valmy et de la République. Nous serions aujourd’hui en nivôse, le mois des neiges : la douceur de cet hiver nous montre sans doute la réalité du changement climatique depuis 1792, préoccupation essentielle de notre époque.

Quant aux disciples d’Alfred Jarry, plus sensibles à l’absurde et à la fantaisie, ils font débuter l’Ère pataphysique à la naissance de leur auteur fétiche et, selon leur calendrier poétique, nous serions aujourd’hui le 17 décervelage de l’an 147… Cela dit sans offenser quiconque.

Entre la raison et le décervelage, permettez-moi de préférer la raison. Je ne propose ni le rétablissement du calendrier révolutionnaire, ni même le culte de la déesse Raison. Car la raison dont je parle n’en demande pas tant : ce n’est pas une divinité, ni même une abstraction, mais une amie de tous les jours, proche, directe et accessible. Cette raison-là ne demande ni culte ni cérémonies, seulement un peu d’attention et de jugeote, de bon sens et de discernement.

Grâce à elle, on peut échapper au grand décervelage du complotisme et du populisme, aux rumeurs folles et aux fake news, aux exagérations grossières qui préludent aux violences.

Car les excès verbaux ne sont que l’amorce des excès tout court, Mona Ozouf l’a dit mieux que moi dans cet avertissement célèbre : « L’ensauvagement du langage annonce, prépare et fabrique l’ensauvagement des actes. »

Du Perchoir, que Jacques Chaban-Delmas comparait à « un tonneau de vigie d’où l’on peut voir se lever la tempête », métaphore maritime qui parle à l’élu finistérien que je suis, le Président de l’Assemblée nationale est bien placé pour entendre les mots qui s’échangent entre les groupes politiques : les bons mots et les gros mots, les mots d’esprit et les mots de trop…

Comme vous tous ici, j’aime les débats vifs et passionnés, l’éloquence, le brio, les engagements personnels et les professions de foi sincères ; mais je ne les confonds pas avec les vitupérations et les vociférations qui ne font que polluer les confrontations argumentées.

J’en deviens un fervent militant de l’écologie et de la sobriété oratoires.

Notre belle langue française permet d’être critique, et même efficacement cinglant ; on peut exprimer sa désapprobation, son opposition, sans employer un vocabulaire belliqueux qui, franchement, raisonnablement, n’a pas sa place dans la France du XXIe siècle.

Or, j’ai entendu ces derniers mois parler de « déclaration de guerre » à propos d’un conflit social, et hier encore de « manipulation » à propos d’un compromis négocié. Sans compter les termes blessants, orduriers, haineux, que nous continuons de trouver, anonymement tracés sur des permanences de députés ou complaisamment colportés sur les réseaux sociaux.

Tout n’est pas rose, bien sûr, dans notre pays ; nombre de nos concitoyens rencontrent de réelles difficultés que nous tous, élus, ministres, fonctionnaires, nous efforçons de résoudre, mais enfin, au nom de la raison et du bon sens, je forme le vœu que l’on cesse de se complaire dans la rhétorique du malheur et de la détestation d’autrui.

Et on sait bien que quand les mots dépassent la pensée, ils ne vont jamais très loin, ou simplement trop loin, c’est-à-dire nulle part.

Pour ma part, comme antidote à la morosité, j’ai placé sur mon bureau un petit globe terrestre, l’un de ces beaux outils pédagogiques qu’on trouve dans les salles de classe et qui font apparaître, quand on les allume, les frontières des États. Or, j’ai beau le faire tourner sur son axe, le scruter, pays par pays, en toute franchise je ne vois nulle part où il serait préférable d’habiter ou de vivre.

Où vit-on mieux qu’en France, en effet ? Où se trouve ce pays de Cocagne qui pourrait rivaliser avec notre offre de soins, notre régime de liberté, notre niveau de protection sociale et d’éducation ?

Nous allons en 2020 célébrer les trois cents ans du Palais-Bourbon, puisque ce fut il y a trois siècles, en 1720, que le marquis de Lassay acheta, pour sa bonne amie la duchesse de Bourbon, les terrains où nous nous trouvons aujourd’hui. Ni la duchesse ni le marquis ne pouvaient imaginer que leurs demeures d’agrément, construites pour abriter leurs amours dans une zone encore agreste en bordure de Paris, deviendraient le lieu où s’élaborerait la loi d’une république.

Le marquis de Lassay pourtant, homme des Lumières, écrivit ici-même une charmante utopie littéraire, Relation d’un voyage au pays des Féliciens. Il faudra un jour rééditer cette œuvre car ces bienheureux Féliciens dont l’auteur nous fait découvrir le pays merveilleux, à quoi doivent-ils leur félicité ? À des corps constitués solides et intègres, et à l’existence d’un Parlement !

Dans cet écrit de 1727 – vingt ans avant Rousseau, trente-cinq ans avant Montesquieu –, déjà se dessine ce qui deviendra l’idéal moderne : un exécutif soucieux du bien commun, agissant sous le contrôle de parlementaires critiques mais respectueux de leurs contradicteurs.

Au pays des Féliciens, il y a une chambre haute et une chambre basse, un Conseil des ministres aidé d’un Conseil d’État, une magistrature indépendante et des provinces décentralisées.

Il y a même un système de retraites, audace incroyable au début du XVIIIe siècle, malheureusement l’âge de départ était fixé à soixante-dix ans…

Pour le reste, nous assure le marquis de Lassay, « il n’y a point de peuples dans le monde plus spirituels que les Féliciens ; ils ont de l’étendue, de la justesse et de la netteté dans l’esprit, une conception aisée, un discernement parfait […]. On remarque dans le peuple un bon sens naturel répandu dans toute la nation, et un amour pour la liberté qui se fait voir en tout. »

Tout va très bien Monsieur le Marquis…

Bref, le pays des Féliciens, c’est « un lieu où l’on est gouverné par les lois plutôt que par les hommes, et où l’on n’a qu’à être sûr de soi pour n’avoir rien à craindre ».

Cet idéal des Lumières et de la raison, nous œuvrons chaque jour à le concrétiser davantage. C’est la seule formule pour progresser ensemble : dans toute l’histoire humaine, on n’en a pas trouvé de meilleure.

Aussi notre responsabilité est-elle grande car c’est nous, corps constitués de la République, qui sommes collectivement les garants de cette raison et de ce discernement sans lesquels il n’y a ni liberté, ni prospérité.

Ainsi, au lieu de sombrer dans cette sorte de délectation morose et de mélancolie qui voudrait devenir l’air du temps, nous pouvons être fiers de notre pays, celui des Droits de l’Homme et de la raison ; fiers de nos institutions qui garantissent les libertés démocratiques ; fiers de notre action au quotidien, au service de la France et des Français.

Car le pays des Féliciens n’était qu’une utopie, une vue de l’esprit, tandis que notre République française est une réalité, construite jour après jour par des générations de citoyens aspirant au meilleur, et dont nous perpétuons l’œuvre par les lois que nous élaborons et votons, par les pouvoirs et contre-pouvoirs que nous exerçons, de bonne foi, sans nul doute, au service de tous.

Et je pourrais en dire de même de notre vaste démocratie européenne, maintenant conspuée par les nationalistes et les eurosceptiques de tous bords, qui oublient ces conflits effroyables du XXe siècle que, tous ici, je le sais, nous ne voulons revoir à aucun prix. En matière internationale encore, la raison vaut mieux que les canons.

Nous avons été nombreux, sous le précédent quinquennat, à protester contre le projet de déchéance de Nationalité ; refusons aujourd’hui la déchéance de Rationalité, qui serait une grave abdication de tout ce que la France des Lumières et l’Humanité ont réalisé de plus haut, de plus exemplaire.

Je souhaite donc que l’année 2020 soit celle de la raison cultivée, du dialogue renoué, de la démocratie apaisée et partagée.

Alors que nos 35 000 communes se préparent au grand rendez-vous civique que sont les élections municipales, montrons au monde ce qu’est une République adulte et fière d’elle-même, qui sait bâtir pierre à pierre, cultivant l’écoute et l’art du compromis, dans le plus profond et authentique respect mutuel.

Ce sont là les vœux que je forme aujourd’hui devant vous.

Je vous souhaite personnellement et pour ceux que vous aimez et qui vous aiment, une bonne année 2020.

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